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manufacturés français destinés à la consommation de l’Alsace-Lorraine, et elle inséra dans la loi un article spécial à cet effet. Ce désir était assurément fort légitime, et il appartenait aux députés de l’exprimer ; seulement il eût été plus prudent de ne point le fixer par un vote et de n’en pas faire un article de loi, car il s’agissait non pas d’une loi, mais d’un projet de traité : en l’absence de l’une des parties contractantes, le vote n’avait qu’une valeur éventuelle. Il eût été préférable de s’en rapporter aux négociateurs, et de ne point diminuer, en face de la diplomatie allemande, leur liberté de discussion et de décision. En résumé, les bases du traité furent adoptées à une majorité très considérable. L’assemblée dans son patriotisme ne pouvait manquer de s’associer aux vues du gouvernement, et, à travers les nuages qu’une malencontreuse digression protectioniste avait répandus sur le débat, elle apercevait avec une satisfaction bien légitime la libération anticipée d’une partie de notre territoire.

Les négociations diplomatiques s’accommodent généralement assez mal d’une publicité prématurée. Ce n’est pas qu’elles aient toujours à craindre l’air et la lumière, comme s’il s’agissait d’un complot ; mais le secret de la discussion leur est nécessaire. De même que, dans les affaires d’intérêt ou d’honneur privé, la décision ne peut être utilement confiée qu’à un petit nombre de juges ou d’arbitres, de même, dans les relations de peuple à peuple, les litiges ne se concilient, sûrement que par l’entremise de quelques mandataires habitués à ce genre de débats, sachant saisir l’occasion d’introduire les demandes et faire à propos les concessions. Bref, on ne négocie point sur la place publique ni au sein d’une grande assemblée, ou bien l’on risque fort de rendre plus difficile et plus lente l’action diplomatique. Aussi avait-il fallu que le gouvernement français fût dominé par un intérêt supérieur pour avoir dérogé à la pratique usuelle en soumettant par avance à l’assemblée nationale les bases d’un traité non encore signé. Ce qui était à craindre arriva. Tous les intérêts, industriels, commerciaux ou financiers, qui pouvaient être affectés par le résultat des négociations, furent mis en éveil ; ils s’agitèrent à Versailles comme à Francfort et à Berlin. La presse des deux pays s’empara des diverses questions pendantes, et par une discussion passionnée, telle qu’on devait l’attendre d’elle après cette sanglante guerre, elle faillit les envenimer au lieu de les éclairer. En Allemagne, les banquiers, naturellement fort avides de commissions et de bénéfices, demandaient à leur gouvernement d’intervenir pour avoir une forte part des cautions destinées, suivant les arrangemens financiers, à garantir la signature de la France. En même temps, l’impatience si légitime des populations qui se