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lui-même le comprenait d’ailleurs, et, comme je l’ai dit, ne cherchait point à sortir de son rôle. Après le patriarche de Constantinople, le second dans le rang de dignité était celui d’Alexandrie, Cyrille, qui était aussi accusé, comme on l’a vu, par la lettre de l’empereur ; il l’était même doublement pour le scandale public de sa sommation à Constantinople et pour les faits privés relatifs aux plaignans égyptiens. À ce titre, il eût dû imiter la conduite de Nestorius, et se récuser pour la présidence ; toutefois, l’accusation dont il était l’objet n’ayant pas été formulée selon les règles ecclésiastiques, comme celle qu’il avait lancée lui-même contre Nestorius de concert avec le pape, il profita de ce vice de forme pour jeter de côté l’accusation et l’incapacité qu’elle entraînait, et s’empara de la présidence en vertu de son droit de primatie. Jean d’Antioche présent au concile, la chose pouvait se passer autrement. Jean tenait le troisième rang parmi les patriarches, et, à défaut de Cyrille, c’était lui qui devait présider ; or il eût étayé son droit dans la circonstance sur un argument devant lequel la prétention de son rival se serait évanouie. Au lieu de la mise en accusation informe que les officiers impériaux pouvaient soulever contre celui-ci, Jean d’Antioche en apportait une, régulièrement formulée, au nom des évêques de la province d’Orient, et certes ni le concile, ni les officiers impériaux, n’auraient permis à Cyrille de passer outre. Cette crainte, que lui faisaient concevoir les nouvelles envoyées par ses espions d’Antioche, car il en avait partout, préoccupait vivement le patriarche d’Alexandrie : il se hâta de conjurer le péril en brusquant l’ouverture de la session.

Le 20 juin, treizième jour après la Pentecôte, les Orientaux n’étaient pas arrivés, mais on savait qu’ils ne se trouvaient plus qu’à très peu de journées de la ville : ils avaient été retenus dans leur marche par la fatigue et la maladie de quelques-uns d’entre eux. Leur tête de colonne, composée des plus jeunes ou des plus alertes, avait même déjà gagné Éphèse ; Théodoret était du nombre. Jean écrivait particulièrement à Cyrille qu’ils paraîtraient sans faute le 26, et deux évêques qu’il avait dépêchés en avant déclaraient de sa part que, s’il dépassait cette date, il ne s’offenserait pas qu’on ouvrît le concile sans lui. Les hommes prudens et modérés étaient d’avis qu’il fallait attendre, soit par sentiment de convenance entre évêques, soit par sentiment d’équité et même de devoir canonique, car on ne pouvait, sans les plus graves motifs, priver du droit de discussion et de vote dans une question de dogme la plus grande et la plus illustre église de l’empire d’Orient. Cyrille au contraire opinait pour qu’on passât outre. « C’est assez avoir contrevenu, disait-il, aux ordres de l’empereur, qui nous a fixé le 7 de juin pour l’ouverture de la session. Beaucoup d’entre nous sont malades et