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s’engageant point dans une opinion avant d’avoir entendu toutes les autres. Ce parti intermédiaire s’abstint de paraître aux conciliabules soit des évêques de Cyrille (on commençait à qualifier ainsi ceux qui s’enrôlaient après lui sous la bannière de Marie théotocos), soit du petit troupeau de Nestorius. Les membres de ce tiers-parti attendaient pour passer d’un côté ou de l’autre l’arrivée des évêques syriens, dont le nombre et les lumières détermineraient, à leur avis, la majorité. Cette tactique inquiéta Cyrille, qui redoutait l’arrivée du patriarche d’Antioche autant que les autres la souhaitaient, et Memnon résolut de soumettre les récalcitrans par la force, si la persuasion n’y faisait rien. Il envoya d’abord chez les évêques dissidens des clercs de son église pour les endoctriner, puis des citoyens notables pour les toucher, en leur remontrant que voter contre Cyrille c’était travailler à la ruine de leur cité, dont on voulait déshonorer la patronne. Ceux qui restaient inébranlables aux prières comme aux prédications, on les signalait à la populace qui les insultait dans les rues, à tel point qu’ils n’osèrent bientôt plus sortir, et la nuit on marquait leurs portes de quelque signe sinistre, comme si l’on complotait de les égorger. En vain se plaignaient-ils aux magistrats : les magistrats se riaient d’eux ou les traitaient en ennemis publics. Ces faits, si incroyables qu’ils paraissent, furent constatés plus tard par des enquêtes civiles et ecclésiastiques. Plusieurs, vieux ou infirmes, courbèrent la tête, et firent leur paix avec les cyrilliens ; soixante environ restèrent fermes dans leur résolution, d’attendre la venue, d’ailleurs prochaine des Orientaux. On désignait alors par cette appellation d’Orientaux, prise dans un sens particulier et restreint, l’ensemble des évêques du patriarcat d’Antioche : j’en dirai en quelques mots la raison.

La province de Syrie, la plus vaste des provinces romaines à l’est de la Méditerranée, portait dans la nomenclature officielle le titre de diocèse d’Orient, et, la dignité de comte consistorial étant attachée à ce premier des gouvernemens de l’Asie, le haut fonctionnaire qui résidait à Antioche était appelé comte d’Orient. En vertu du parallélisme établi depuis Constantin entre les deux hiérarchies civile et ecclésiastique, le patriarcat d’Antioche, qui comprenait toute la province civile de Syrie et plus encore, s’intitula archevêché ou patriarcat d’Orient, et les évêques qui y ressortissaient prirent communément la dénomination d’Orientaux : c’est ainsi qu’on les distingua dans le classement des diocèses ecclésiastiques. De même que le comte d’Orient était le plus puissant des gouverneurs de l’Asie romaine, le patriarche d’Orient le fut des évêques de l’Asie chrétienne. Sa juridiction s’étendait même en dehors de la province civile à cause des territoires conquis au christianisme sur les barbares de l’Arabie ou de la Perse, lesquels dépendirent de