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anathématismes n’étaient en plusieurs de leurs parties qu’un programme apollinariste, inclinant vers la passivité de Dieu, l’existence en Jésus d’une nature humaine particulière non consubstantielle aux hommes, enfin vers la confusion des deux natures en une seule. Nous verrons en effet que ces termes obscurs et embarrassés, s’ils n’étaient pas hérétiques, devinrent l’occasion d’un schisme du vivant de Cyrille, et furent condamnés plus d’une fois après sa mort.

Jean, pour le moment, ne songea qu’aux nécessités de son église, il crut qu’il était de son devoir de dénoncer au prochain concile les dangereuses tendances de ce document ; mais, ne se fiant pas à ses seules lumières dans une affaire aussi grave, il appela près de lui les plus forts théologiens de sa province pour examiner la question en synode et arrêter de concert la marche qu’il convenait de suivre. Le synode, après mûr examen, partagea l’avis du patriarche sur le caractère hérétique des anathématismes et sur les dangers qu’entraînerait pour l’église de Syrie l’approbation de ces doctrines dans un concile comme articles de foi. Il fut convenu qu’on ouvrirait la lutte contre Cyrille devant la future assemblée pour fait d’hérésie, et qu’en attendant il serait bon de préparer les esprits par des réfutations écrites. Le patriarche Jean choisit pour cette dernière œuvre deux théologiens illustres entre tous ceux de son patriarcat, André de Samosate et Théodoret de Cyr. André, homme très érudit, timide et ami du repos, composa un petit livre bien raisonné, bien calme, mais auquel Cyrille ne répondit pas ; la réfutation de Théodoret fut au contraire très incisive et obligea Cyrille à répliquer. Il le fit de mauvaise grâce, et en garda contre l’évêque de Cyr une haine qui ne s’éteignit point. Comme nous devons voir Théodoret ardemment engagé dans les débats de la lutte, nous exposerons en peu de mots ce qu’il était, et quel adversaire le patriarche d’Alexandrie avait attiré sur ses doctrines.

L’austère et savant Théodoret était au milieu du Ve siècle un modèle de ce stoïcisme chrétien fréquent dans les premiers temps de la foi, quand la profession chrétienne s’appelait une philosophie, presque disparu depuis que l’épiscopat était devenu un moyen de dominer, de s’enrichir et de capter la faveur des princes. Dans sa vie comme dans son caractère, il était exactement l’opposé de Cyrille, qu’il égalait d’ailleurs par la science. Théodoret appartenait à une des familles d’Antioche les plus opulentes : élevé dans le luxe et les plaisirs, près d’une mère vertueuse, mais élégante et mondaine, il avait nourri depuis son enfance deux passions, celle de la solitude et celle de la pauvreté. Dès qu’il fut libre, il s’y livra sans réserve. Ayant vendu son patrimoine, dont il distribua une moitié aux pauvres d’Antioche, il courut avec l’autre s’enterrer dans la partie la plus sauvage de la Syrie euphratésienne, non loin du fleuve