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poussaient la France à la guerre il y a un an, ou qui ont tenté depuis de remplacer la dictature césarienne par les dictatures révolutionnaires, et qui, même aujourd’hui, s’occupent à organiser sur un sol encore mal affermi cette fronde turbulente du bonapartisme et du radicalisme dont nous sommes les témoins étonnés et peu édifiés ?

Que cette recrudescence d’agitation bonapartiste qui depuis quelque temps se manifeste dans les journaux et ailleurs soit assez factice, on peut aisément le croire, et au besoin rien ne le prouverait mieux que ce qui vient d’arriver au prince Napoléon en Corse, dans cette île de la Méditerranée qu’on se plaisait à représenter comme l’inviolable citadelle de la fidélité impérialiste. La pièce avait été, à ce qu’il paraît, habilement montée. Le prince Napoléon, qui vient d’être élu conseiller-général en Corse et qui avait fait demander au gouvernement français un passeport pour se rendre au poste du devoir, le prince Napoléon devait être reçu avec enthousiasme. Dès son arrivée, il allait être infailliblement choisi comme président du conseil-général, et il se proposait de prononcer aussitôt un discours qui ne pouvait manquer de retentir dans la France entière comme le tocsin de la restauration impériale. Malheureusement la pièce n’a pas réussi autant qu’on le pensait. Il est vrai que le gouvernement a été accusé d’avoir dérangé la mise en scène par l’envoi d’un commissaire extraordinaire accompagné d’une petite escadre. Ce qui est certain, c’est que, devant la volonté témoignée résolument de couper court à tout désordre, la manifestation s’est arrêtée en chemin. Le prince Napoléon n’a point été reçu sous des arcs de triomphe, il n’a point été élu président du conseil-général, il n’a pu prononcer aucun discours, et il est reparti aussitôt pour une destination inconnue, sans annoncer l’intention de venir opérer sur les côtes de France un retour d’Égypte ou un retour de l’île d’Elbe ! L’aventure n’est pas même arrivée au point d’être sérieuse. Elle est tout au plus un symptôme des fausses espérances, des fausses ardeurs dont le bonapartisme s’est senti subitement repris depuis quelque temps, et certes, quoiqu’on ne doive plus s’étonner de rien, c’est un des phénomènes les plus étranges, les plus imprévus, qu’aujourd’hui, une année à peine après Sedan, sous le coup de tous les désastres qui en ont été la suite, il se trouve encore des hommes pour parler de l’empire, pour essayer de ramasser les morceaux de ce régime impérial dans la poussière sanglante où ils ont roulé.

Il faudrait au moins avoir un peu plus de patience et attendre que tous ces cruels souvenirs fussent un peu refroidis. On dirait en vérité, à entendre toutes les justifications et les récriminations bonapartistes, que nous avons vécu dans une autre planète depuis un an, que nous n’avons rien vu de ce qui s’est passé, que l’empire a été la plus innocente des victimes, que lui seul peut se laver les mains de tout ce qui est arrivé. L’empire, ah ! l’empire a couvert visiblement la France de prospérité et