Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/224

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

composée de 1,500 jeunes gens qui formaient une superbe troupe, et s’en allaient par la rue de la Vieille-Draperie au Palais pour le préserver de toute attaque venant des troupes royales ; à ceux-ci s’étaient réunis 1,500 autres jeunes gens de la basoche du Châtelet. » Classé par son âge dans les sédentaires (il avait plus de soixante ans), Hardy n’a joué aucun rôle actif et marquant dans ces démonstrations, il suivait du regard les événemens avec cette curiosité émue et cette sympathie décroissante dont nous avons parlé ; mais il n’était pas homme, en de pareilles alertes, à fuir le jour et à craindre le bruit. Il allait aux « klubes, » il était assidu aux séances orageuses de son district des Mathurins, où l’on rejeta plus tard le veto du roi ; le 16 juin, quatre jours avant le serment du Jeu de Paume, il se trouvait à Versailles dans une tribune du tiers-état. Là il entendit Mirabeau et Sieyès proposant de remplacer le nom d’états-généraux par celui d’assemblée nationale ; le président Bailly « le charma par la noble gravité de son attitude, » mais le sans-façon des députés lui déplut. Il s’étonnait de les voir siéger sans costume ; ce mépris de l’étiquette, indice léger de changemens si graves, choquait ses habitudes, et amoindrissait à ses yeux la majesté de la nation. — Comme tout bon patriote, une alarme provoquée par des bruits populaires le tenait en souci : Versailles, disait-on, pour se défaire de Paris, complotait d’y mettre le feu ; « instruite de cet infâme projet, la ville faisait boucher les soupiraux des caves qui donnaient sur la rue, car on avait déjà essayé d’y jeter des matières combustibles. » Nous sommes tellement accoutumés à traiter d’impie et d’athée la révolution de 1789, qu’on ne s’attend guère à voir défiler dans les rues insurgées des processions bannières au vent ; elles sont nombreuses pourtant et fort brillantes, Hardy les compte, et, comme il est sur leur chemin, aucune ne lui échappe. Elles vont toutes en pèlerinage, chargées d’ex-voto, à Sainte-Geneviève, entre deux haies de gardes nationaux ; il en vient de Belleville, du port au blé, du faubourg Saint-Antoine, de tous les quartiers de Paris : elles portent des gâteaux et des fleurs ; chaque bataillon de la nouvelle milice fait bénir son drapeau. Les héros de la Bastille conduisent en grande pompe « un chef-d’œuvre de menuiserie » qui figure la forteresse, et sur lequel flottent les étendards conquis. La haine est oubliée ou n’a pas eu le temps de naître ; une effusion de commune espérance épanouit tous les cœurs : « prêtres, moines, ouvriers, soldats, citoyens et citoyennes, » gravissent en troupes joyeuses les pentes escarpées de la montagne.

Le journal s’arrête brusquement et sans explication à la date du 14 octobre 1789. A partir de ce moment, nous perdons la trace de