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d’ouvrir le premier venu de nos chroniqueurs, l’on voit se réveiller aussitôt le vieux forum parisien avec ses multitudes, ses tribuns, ses chefs de parti, tout y reprend vie et couleur ; une précision originale nous rend sensibles les agitations de cette fronde dévote et parlementaire, l’énergique bigarrure de l’ancienne liberté que nous supposons trop volontiers timide et sans moyens d’action. Nous qui avons connu et subi tant de tyrannies déguisées, tant de libéraux imposteurs, des défaillances périodiques et des violences tour à tour applaudies, nous appartient-il de regarder d’un œil dédaigneux les essais incorrects de cette liberté incomplète dont nos luttes plus régulières n’ont pas toujours égalé la force et la sincérité ?

Le janséniste Hardy est un ami zélé du parlement, et ce zèle, toujours en quête de nouvelles politiques, enrichit son journal. Bien qu’une effective participation aux grandes affaires et aux nobles périls constitue un privilège interdit à son ambition, il s’engage, autant qu’il peut, dans la lutte, il y met son âme et le meilleur de sa vie ; il assiste aux séances des jours de crise ; rentré chez lui, il prend ses registres et consigne le souvenir des débats orageux, des incidens mémorables. On dirait qu’un reflet des scènes historiques dont il est l’ardent témoin illumine et transfigure par momens son obscurité. La province même l’intéresse, il suit au loin les développemens de la résistance ; ses correspondans l’informent des événemens, lui envoient les pièces importantes, les documens nouveaux, harangues, remontrances, arrêts, exposés des motifs. Muni de ces textes authentiques, Hardy les transcrit avec un soin, une patience, ou plutôt avec une piété qu’aucun détail ne rebute et que la plus verbeuse éloquence ne réussit pas à décourager. Il se constitue d’office et pour la satisfaction personnelle de son patriotisme le greffier du procès pendant entre la couronne et la nation. Hardy était présent, en janvier 1771, au coup d’état Maupeou, lorsque le chancelier, « armé jusqu’aux dents, » porta « l’abomination de la désolation dans le sanctuaire de la justice, » non sans risque d’être « enlevé et étouffé » en traversant la foule indignée. Le récit qu’il a laissé de cette journée est une des pages attachantes de ses mémoires par le sentiment de généreuse tristesse dont il est empreint. Trop ému pour se borner au rôle de rapporteur et de copiste, Hardy intervient en son propre nom et fait sa profession de foi. Dans le trouble où la violence a jeté les meilleurs esprits, cet honnête homme sent le besoin de s’expliquer avec lui-même et de voir clair dans son opinion. Il interrompt l’histoire de l’attentat, et lui, si discret sur tout ce qui a trait à sa personne, il croit devoir écrire, à la date du 12 novembre 1771, la déclaration suivante qui prouve jusqu’à quel point les Parisiens de