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professionnel devant un jury de huit membres désignés par le sort ; les registres faisaient foi des notes obtenues et de la décision des juges. Ce qui restreint la liberté a souvent pour effet d’accroître la considération. Les ordonnances de 1618, 1624, 1723, en exigeant des garanties, avaient en retour accordé des privilèges ; la profession de libraire et d’imprimeur, séparée « des arts mécaniques, » était assimilée aux carrières libérales : la communauté faisait corps avec l’Université. Ses officiers en charge assistaient, revêtus de leurs insignes, en manteau et en rabat, aux processions du recteur, aux distributions des prix ; ils avaient leur rang marqué dans toutes les solennités classiques, beaucoup plus nombreuses et plus pompeuses qu’aujourd’hui ; — bref, les libraires de ce temps-là étaient en quelque sorte des bibliothécaires en titre, attachés au service des études universitaires.

Le caractère libéral de la profession paraît surtout dans l’auteur de ces mémoires. Hardy était d’une bonne famille de moyenne bourgeoisie qui s’honorait de compter parmi ses membres des professeurs et des magistrats. Son grand-père maternel, Delaval, avait été recteur ; son beau-père et son cousin germain, du nom de Duboc, étaient conseillers au Châtelet. Ces vieilles familles, aux mœurs patientes et fortes, gravissaient lentement par le labeur des générations les degrés de la notoriété publique et de la fortune ; quelquefois elles faisaient irruption dans la gloire, grâce à un génie imprévu sorti de leur sein. Sur la grande route de l’ambition, qui n’a jamais été déserte en France, elles formaient la première station ; les audacieux qui montaient des profondeurs du peuple s’arrêtaient là, et reprenaient haleine avant de tenter l’accès des rangs supérieurs. En 1781, quand M. de Juigné fut nommé archevêque de Paris, Hardy lui rappela dans une lettre respectueuse qu’il avait été son camarade de classe à Navarre et aux Grassins, qu’ils avaient fait leur seconde ensemble en 1745. La lettre reçut un froid accueil, Hardy se souvenait trop, et le prélat trop peu ; elle nous révèle du moins l’âge de l’auteur, et. nous pouvons sur cet indice fixer à 1728 la date vraisemblable de sa naissance, année où naquit M. de Juigné. Buvat mourut un an après ; Marais avait alors soixante-trois ans, et n’écrivait plus que pour répondre au président Bouhier ; quant à Barbier, né en 1689, il était dans la force de l’âge et dans toute sa verve d’observateur et d’annaliste. A quelques pas du cabinet d’affaires où notre avocat, tout en expédiant les plaideurs, compilait sa chronique, dans cette même rue Galande, hantée par, les officiers de la chicane, Hardy vint se loger en quittant les Grassins, « un peu au-dessus de la rue des Anglais, » qui existe encore, et le camarade de classe du futur archevêque entra comme apprenti chez un imprimeur nommé Quillau, établi rue du Fouarre, « ancien