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biographe de La Fontaine, ami du président Bouhier, ses goûts et ses amitiés l’ennoblissent. On redescend d’un degré avec Barbier, sorti, lui aussi, d’une famille de légistes et de praticiens, avocat comme Matthieu Marais, mais avocat consultant, aussi peu curieux de belles-lettres que d’éloquence, beaucoup plus attentif au solide de sa profession qu’à la gloire. Hardy, qui commence quand Barbier finit, Hardy qui ferme la série de ces représentans de l’opinion parisienne entre Louis XIV et la révolution, ne dûment en rien l’origine et l’esprit général de ses devanciers : par sa naissance et son éducation, par le caractère de sa vie et de ses idées, il est le continuateur légitime de leurs traditions et de leur entreprise. — Mais qu’est-ce donc que ce nouveau-venu tiré pour la première fois de son obscurité profonde et introduit par nous dans l’histoire politique de la ville de Paris ?

En suivant, à partir de la Seine, la rue Saint-Jacques, dont nous ne voyons plus que des tronçons épars et comme des échantillons, on rencontrait, à main gauche, au coin de la rue des Noyers, supprimée, elle aussi, presque entièrement, la chapelle de Saint-Yves. Fondée au XIVe siècle en l’honneur d’un avocat breton, de celui-là même qu’avait rendu fameux ce singulier panégyrique : advocatus et non latro, res miranda populo, elle était le rendez-vous des plaideurs échappés aux griffes de la chicane ; ils suspendaient à la voûte les sacs de leurs procès, comme les boiteux guéris, dit un historien, suspendent leurs béquilles au sanctuaire d’une madone. Le boulevard Saint-Germain passe aujourd’hui sur l’emplacement qu’elle occupait. La chapelle, au XVIIIe siècle, faisait face à une librairie d’apparence modeste, mais d’excellent renom, riche en livres sérieux, heureusement située dans le voisinage des grandes écoles, à deux pas de la Sorbonne et du Collège de France, au cœur même de ce quartier studieux et religieux, où les collèges, les couvens, les églises abondaient, où les gens de loi se mêlaient aux écoliers et aux moines. C’est au fond de cette maison, au milieu des rayons couverts de livres et sur le comptoir même de sa boutique, que Siméon-Prosper Hardy écrivit pendant vingt-cinq ans, de 1764 à 1790, l’histoire contemporaine ; c’est de là que ses mémoires, formant huit volumes in-folio, ont passé aux manuscrits de la Bibliothèque nationale. Il faut un peu modifier nos idées sur la librairie moderne pour apprécier au juste ce qu’était, il y a cent ans, un libraire de Paris. On n’entrait pas au hasard ni de plain-pied dans la communauté des libraires et imprimeurs, qui comprenait environ 210 membres : après un apprentissage dûment constaté, on était tenu de produire un certificat de solides études classiques signé du recteur ; on subissait ensuite, dans la chambre royale et syndicale de la rue du Foin-Saint-Jacques, l’examen