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branche cassée d’un arbre, l’absence même de traces visibles, tout servait l’instinct de ces sauvages et les conduisait à leur but. La poursuite des évadés fut une fête pour les Néo-Calédoniens. Pénétrés et tout gonflés de l’importance de leur tâche, ils y mirent une ardeur extrême. Des Européens, ignorant l’art de dissimuler leurs pas, n’avaient aucune chance de leur échapper ; ils furent pris à quelque distance. Le récit officiel dit que les Calédoniens, au nombre de huit, ayant aperçu les évadés, s’élancèrent sur eux « haletans d’impatience et semblables à des chiens furieux qui attendent la curée ; » leur retour fut une marche triomphale. Les sauvages, voyant passer les prisonniers, manifestaient leur joie par des rugissemens ; ils espéraient sans doute avoir un morceau de ces malheureux.

On usa d’indulgence. Le retour des convicts coïncidait avec une nouvelle faveur qu’octroyait le gouvernement colonial ; il autorisait les transportés à s’engager chez les colons hors de la ville. C’est l’usage en Australie. Ce grand continent offre des pâturages immenses où les colons élèvent des troupeaux réellement innombrables. On divise ce bétail, tant à cause de l’antipathie des races que par l’obligation de réserver à chaque troupeau l’espace nécessaire pour sa nourriture ; ces divisions comprennent des milliers d’animaux, et le gardien est très souvent un convict. Perdu dans de vastes plaines, errant pendant de longues journées, sans rapport avec ses semblables, sans moyen de se livrer à l’ivrognerie, sa passion dominante, le déporté d’Angleterre est mieux muré dans ces solitudes, où il est sûr de mourir de faim s’il déserte l’habitation de son patron, que sous les verrous d’une prison. Cette puissante colonie d’Australie s’est donc développée en grande partie par le concours des déportés ; si plus tard elle a renié et refusé ce concours, c’est surtout parce qu’elle avait la légitime ambition d’élever le niveau moral de la population. Les transportés de la Nouvelle-Calédonie ne sont point en situation de rendre les mêmes services. En 1870, on n’en comptait qu’une quarantaine sur les habitations, et ils s’y conduisaient quelquefois si mal que l’administration, malgré sa bienveillance extrême, s’était vue obligée de prendre avec ces condamnés des précautions particulières. Divers arrêtés avaient été rendus, afin d’obliger les transportés placés chez les colons à se distinguer du reste de la population : ainsi, interdiction de porter la barbe longue, défense de quitter les vêtemens du pénitencier pour revêtir des habits de ville, réintégration dans les ateliers de l’île Nou après certaines offenses. En fait, les habitans ont toujours montré de l’éloignement et de la défiance à ces hommes dont la conversion leur semble toujours douteuse. La Nouvelle-Calédonie