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liberté de se développer, et les préjugés de l’ancienne société furent interceptés. La précaution était d’ailleurs utile contre les velléités d’évasion.

Au mois de mai 1865, l’administration n’eut garde d’omettre sa visite annuelle à l’établissement de l’île Nou. Elle y trouva des sujets de satisfaction. Les condamnés, en petit nombre et surchargés de travail, n’avaient pas troublé l’ordre pendant l’année écoulée, et ils avaient transformé l’aspect de leur prison. Le pénitencier était construit ; les habitations des fonctionnaires et employés, un hôpital, une caserne, le logement des condamnés, la prison, appelée dans un langage euphonique « lieu de répression peu utilisé, » les ateliers de charpentage, de menuiserie, d’ébénisterie, de saboterie, de forges, de sculpture, les magasins, la boulangerie, tout était prêt pour la réception des nouveaux convicts dont la prochaine arrivée était annoncée. Les cultures n’avaient pas été négligées. Les honorables visiteurs se promenèrent avec plaisir dans un jardin planté d’arbres à fruits, de légumes, dont douze mille choux. Les transportés avaient en outre ouvert une carrière, construit une route pour les besoins de l’exploitation, posé des conduites d’eau, préparé des terrains pour recevoir des cocotiers, des caféiers et d’autres plantes de culture coloniale. Le gouverneur fut ravi de ces travaux, et, pour récompenser les condamnés, il les honora du nom « d’ouvriers de la transportation. » Il y ajouta sans doute quelque ration extraordinaire de vin et de comestible. La suite prouva que les transportés ne se paient pas de mots, qu’il faut, pour les bien gouverner, des règlemens stricts, une surveillance active et une justice sévère.

Dans la première quinzaine du mois de février 1866, la quiétude de l’administration fut troublée tout à coup par l’évasion de deux prisonniers ; ils s’étaient procuré les moyens de passer sur la grande terre, et ils avaient fui dans les bois aux environs de Nouméa. Des gendarmes européens n’auraient pas pu les y joindre ; il fallut s’adresser aux indigènes. La mission était délicate ; il s’agissait d’arrêter ces hommes, mais non de les tuer, encore moins de les manger. A cet égard, on pouvait être assez tranquille, car l’anthropophagie n’est pas florissante autour de nos établissemens, où les indigènes n’osent guère se livrer à leur passion ; cependant l’occasion était bien tentante. A tous risques, on envoya sur les traces des fugitifs quelques sujets du fameux Watton, avec force recommandations accompagnées de promesses et de menaces. Ils partirent en vrais limiers. Les Mohicans de Cooper n’étaient pas plus habiles à suivre des ennemis à la trace : même sagacité, même flair, mêmes déductions logiques ; une empreinte sur la mousse, la