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descendions la vallée en traversant des plantations de cannes à sucre, de bananiers et de cocotiers. C’était en effet dans ce délicieux nid de verdure que se trouvait l’un des villages de nos féroces ennemis. » Selon l’usage, il fut assailli à la baïonnette ; les habitans furent assommés à la sortie de leurs huttes, dont l’ouverture est basse et étroite. Quelques-uns défendirent vaillamment leur vie, d’autres prirent la fuite, et formèrent une bande de véritables démons qui le lendemain, dans un retour offensif, harcela nos troupes victorieuses. Ces dernières les tenaient à distance, mais parvenaient à peine à les troubler par les ravages de leurs carabines. « Un horrible trophée, composé d’ossemens provenant du cotre le Secret, semblait avoir été placé à dessein pour attirer les regards. Au milieu d’une place, devant l’habitation du chef, une perche longue de plusieurs mètres et plantée en terre portait trois crânes saignans, auxquels adhéraient encore quelques lambeaux de chair. » Le gouverneur fit recueillir ces ossemens pour les ensevelir, après quoi il se retira, non sans laisser sur la côte un poste permanent, incapable sans doute de dominer un pays si sauvage, mais suffisant pour l’intimider et pour en tenir l’accès ouvert.

Il restait encore à pacifier les tribus des environs de. Nouméa, la ville principale et le siège du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Cette ville a été fondée dans la partie de l’île la moins fertile, et elle est privée d’eau. On y distille l’eau de mer à grands frais et l’on recueille en avare la pluie qui lave les toits, pour éviter la nécessité d’aller puiser à la plus prochaine rivière, éloignée de plusieurs kilomètres. Un amiral avait choisi cette position parce qu’il l’avait trouvée facile à défendre. Cette raison lui avait suffi, et pour un militaire elle était suffisante. La ville ne fut pas d’ailleurs fondée sans opposition ; à peine en avait-on posé les premières assises que les habitans du pays se soulevèrent. Nous avons sur ces débuts le poignant récit d’un témoin et d’un acteur du drame.

« Jusqu’en 1859, dit ce témoin, la ville de Nouméa fut un véritable camp. Il y fallait exercer jour et nuit une surveillance active. Ce n’était guère qu’un assemblage de quelques baraques où logeaient le personnel militaire et quelques rares colons. Ces bâtimens provisoires étaient resserrés sur un espace étroit, car l’on n’avait pas cessé de craindre les attaques des naturels qui rôdaient aux environs. L’ennemi, habile à se glisser sous les herbes, s’avançait jusqu’aux limites de notre camp, et malheur à celui d’entre nous qui s’écartait et se laissait surprendre. Un coup de hache ou de casse-tête, assené par derrière, l’étendait mort sans un cri. S’il n’était emporté et mangé, on trouvait son corps suspendu à un