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est d’affranchir l’ouvrier en tant que consommateur des bénéfices que prélèvent les intermédiaires. Comment cela ? A l’aide d’un fonds de roulement fourni par un certain nombre d’ouvriers associés. Ce fonds se convertit en articles usuels, denrées ou étoffes, et se renouvelle par la vente de ces articles. Si la vente se fait au prix coûtant, les frais seuls déduits, les associés profitent de la marge qu’offre toujours le prix du gros sur le prix du détail ; si la vente donne un bénéfice, ce bénéfice net de frais se partage entre les intéressés. C’est sur ce pied que s’est constituée, à la date de 1865, la société coopérative d’Anzin : débuts assurément bien modestes. Elle n’avait alors qu’un magasin avec quelques marchandises de première nécessité, comptait 235 associés seulement avec un capital de 4,825 francs, réalisait une vente de 17,603 francs et un bénéfice de 2,068 francs (7 1/2 pour 100 environ), enfin n’avait pu au bout de l’exercice mettre que 413 francs à la réserve. En 1869, quatre ans après, quel changement dans ces chiffres ! Au lieu d’un magasin, il y en a douze ; au lieu de 235 familles associées, il y a plus de 1,300 familles. Les ventes atteignent dans le second semestre écoulé un total de 361,121 fr. 16 c, laissant un bénéfice brut de 59,960 fr. 28 c, et net de 47,901 fr. 91 c. Le dividende à répartir sur les achats est de 9 pour 100, et la réserve arrive au chiffre de 31,595 francs[1]. On ne pouvait évidemment mieux faire ni aller plus rondement en besogne.

Nulle part ces occasions de placemens de fonds ne pourraient être plus opportunes ni mieux justifiées que vis-à-vis des ouvriers d’Anzin ; elles ont pu fixer quelque peu de cet argent que volontiers ils dépensent à l’aventure. Cette population a en effet un goût prononcé pour les divertissemens ; on dirait qu’elle veut racheter, une fois au jour, le temps qu’elle passe dans les ténèbres, — c’est comme le matelot après de longues traversées. Les cabarets, les salles de danse n’ont pas de cliens plus assidus ; les jeux forains ne les attirent pas moins ; la balle ou la crosse, l’arc ou l’arbalète, les tirs de passage, tout leur est bon pour exercer leur habileté. En été, quand les ducasses ou fêtes de village se succèdent, on les rencontre partout et en tel nombre que les travaux souterrains en souffrent, la discipline aussi s’en ressent ; c’est une vraie passion dont on fait la part comme dans un incendie on fait la part du feu, — quelquefois même on s’en sert pour obtenir des gens de corvée

  1. Voici, au 22 août 1871, les derniers chiffres fournis par la société coopérative. Les ventes du semestre atteignent 638,114 francs 35 cent., les bénéfices 76,113 fr. 63 cent, brut et 63,466 francs 66 cent. net. Le mouvement s’est donc soutenu. Le nombre des familles associées est de 1,601, celui des magasins de 15. Le dividende est de 9 pour 100, la réserve de 74,502 fr. 50 cent.