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valeurs évidemment nominales. Au début peut-être l’acquisition d’un sou de la compagnie d’Anzin était-elle chose courante, aujourd’hui c’est presque un chiffre de convention. Le prix du denier est monté il y a quelques années à 270,000 francs, le prix le plus bas a été de 150,000 francs, et le prix moyen s’est maintenu aux environs de 200,000 francs dans la dernière période décennale. Les cessions de deniers ne sont pas d’ailleurs très fréquentes, on va comprendre pourquoi. Le titre est territorial, transmissible seulement par-devant notaire, passible par conséquent de frais d’acte et de droits de mutation. Rien de moins maniable et de plus onéreux ; aussi ne se dessaisit-on des parts d’Anzin que dans des cas urgens : c’est presque toujours un patrimoine, une sorte de majorat d’un revenu d’autant plus fixe qu’il est à l’abri des intempéries et dont on compose des lots quand surviennent des partages.

Une des particularités de ce régime, c’est que les simples intéressés se désistent du gouvernement et jusqu’à un certain point du contrôle de l’entreprise. À part la vérification des écritures, qui leur est acquise, on ne leur voit point d’attribution sérieuse ni d’influence active sur les intérêts communs. La date de l’acte constitutif explique ce vide. Il n’y avait alors ni assemblées d’actionnaires, ni motions, ni délibérations. Or cet acte est encore la loi d’Anzin ; on n’y a rien ajouté, on n’en a rien retranché ; il a rendu de tels services qu’on en a respecté jusqu’aux lacunes. La compagnie lui doit ce qu’elle est : elle lui doit d’être sortie intacte de beaucoup de ruines ; elle eût inévitablement succombé sans une grande et forte concentration de pouvoirs. Voilà ce qu’on dit et ce qui est juste au fond ; il y a pourtant quelque chose à ajouter. Oui, le mécanisme a aidé au salut commun, mais les hommes qui le mettaient enjeu y ont aidé plus encore. Il a été donné à Anzin, fortune rare, d’avoir depuis un siècle une suite de régisseurs unis dans un même esprit, animés du même dévoûment. Précisément parce qu’ils se sentaient plus chargés d’attributions, ils ont poussé plus loin la conscience de leur responsabilité. Dans l’acte le plus grave, la succession des pouvoirs, c’est l’intérêt et la conservation de l’entreprise qui les ont constamment guidés. Ils ont toujours cherché des remplaçans d’une probité à toute épreuve, et, quand ils l’ont pu, porteurs de noms qui imposent ou obligent. Dans la gestion financière, point de routine, point de cadres tracés par des commis, au contraire un discernement assidu des circonstances et une grande variété de moyens. Par exemple, les dividendes ne sont que très rarement en relation exacte avec les bénéfices réalisés ; une prévoyance de tradition a donné l’habitude de grandes réserves qui toutes ont un motif et un objet : réserves en fonds d’état