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remarquable qu’il semblait mieux enchaîné par la double tradition du fond et de la forme.

Cette aisance est également sensible dans le style et dans la composition ; elle ne saurait être appréciée dans le style que par une analyse patiente et minutieuse qui pénétrerait dans le détail des tours et des expressions. On rencontrerait sur son chemin plus d’une imitation, et à ce propos on retrouverait cette question de la nouveauté que nous considérons aujourd’hui à un point de vue tout différent de l’antiquité. Hypéride en effet imite, ou plutôt, nous semble-t-il, emprunte sans scrupule des passages de ses devanciers, de Démosthène, d’Isocrate, de Lysias, peut-être même de Périclès, quoique ce dernier n’eût rien écrit, et qu’en ce qui le touche il ne s’agît que de paroles conservées par la mémoire de génération en génération. Il est telle phrase, d’un caractère assez hyperbolique et déclamatoire, à propos de laquelle tous ces noms apparaîtraient successivement, et qui s’ennoblirait ainsi de toute une généalogie. Jusqu’à quel point Hypéride, dans cette sorte de plagiat qui ne choquait pas les Athéniens, pouvait-il leur paraître nouveau et original ? C’est ce qu’il nous est difficile de reconnaître, et ce que nous ne pourrions guère comprendre, si nous ne tenions pas compte de ces mérites de souplesse gracieuse et de vivacité aisée qui les touchaient autant que l’ampleur sonore des grandes formes oratoires. Il faut d’ailleurs songer, au sujet de ces imitations que nous croyons surprendre, qu’elles n’avaient peut-être pas ce caractère pour les Athéniens. Beaucoup de ces expressions, de ces tours qu’on l’accuserait à tort d’avoir copiés, étaient la propriété commune et le bagage de l’oraison funèbre et en général du genre épidictique ; ils ne valaient que par la place qu’on leur donnait, par le mérite de l’agencement et la nouveauté des applications. Donc, si dans Hypéride nous trouvons que ces élémens, empruntés ou non, produisent un heureux effet, qu’ils se fondent ensemble, qu’ils portent l’empreinte du même esprit et vivent tous également de la vie qu’il leur communique, nous ferons bien de passer outre, et de louer sans hésitation l’œuvre éloquente d’un homme d’esprit.

Ce travail minutieux, indispensable pour l’étude quelque peu approfondie d’un discours athénien, nous amènerait encore, à propos de cette aisance, la qualité dominante d’Hypéride, à discuter les reproches qui lui ont été adressés dans l’antiquité. Je néglige les critiques d’Hermogène, qui trouve que la grandeur a en lui quelque chose de boursouflé, de dur, de mal fondu, de trouble, de choquant. En vérité, il semble que la sévérité de la critique augmente à mesure qu’elle s’éloigne des époques de grande production. Denys d’Halicarnasse signale au contraire l’absence d’enflure comme un des caractères distinctifs d’Hypéride, et auparavant