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monieux…, est le dispensateur de tous les biens qui servent à la vie, de même notre ville a pour fonction perpétuelle de châtier les méchans et d’honorer les bons, de répartir entre les hommes, suivant les lois d’un juste équilibre, les traitemens qu’ils ont mérités, de fournir chaque jour par sa libéralité aux besoins des Grecs… » Ce sont les hyperboles ordinaires sur la générosité des Athéniens, mais renouvelées sous une forme brillante où se confondent dans cette idée d’un arbitrage bienfaisant et souverain, et leurs légendes de l’âge héroïque, et les plus beaux temps de leur hégémonie, et le rôle que les circonstances viennent de leur rendre pour un moment. En écoutant cette unique phrase, qui dans le grec est éclatante et harmonieuse, ils étaient éblouis et charmés. L’effet était donc produit sans que l’orateur se fût attardé au milieu de fables ou de souvenirs lointains.

Voici un autre exemple, plus frappant peut-être, de l’ingénieuse et brillante souplesse avec laquelle il remplit sa tâche de panégyriste du passé pour la plus grande gloire du présent. Il était reçu que les soldats qu’Athènes venait de perdre étaient comparables aux héros antiques de la Grèce et particulièrement aux héros nationaux. Hypéride choisit parmi eux ceux que la tradition a consacrés comme les types du patriotisme, et il imagine de les montrer tous ensemble dans les enfers, maintenant leur habitation commune, où vient les rejoindre Léosthène avec ses compagnons d’armes : ils l’accueillent et le fêtent comme un des leurs. Ainsi ce glorieux hommage qu’il s’agit de rendre aux morts de la guerre lamiaque, ils le reçoivent, ils en jouissent eux-mêmes au-delà du tombeau, et c’est pour les mettre en possession de cet honneur que paraît réuni tout ce qu’il y a eu autrefois de plus illustre. « Demandons-nous quels sont ceux qui dans les enfers feront accueil au chef de ces hommes. Ne nous figurons-nous pas Léosthène reçu avec bienveillance et admiration par la foule des héros qui marchèrent contre Troie ? Ses actions sont sœurs de leurs actions, et telle est même sa supériorité sur eux que, tandis qu’avec toute la Grèce ils ont pris une seule ville, lui, avec sa patrie seule, il a humilié toute cette puissance qui commande à l’Europe et à l’Asie. C’est de l’injure d’une seule femme qu’ils furent les vengeurs ; les outrages qu’il a empêchés menaçaient toutes les Grecques. Voilà ce qu’il a fait avec le concours de ces hommes qui partagent aujourd’hui sa sépulture, et qui, venus après les guerriers qui sont déjà dans ce tombeau, se sont montrés leurs dignes successeurs par les exploits qu’ils ont accomplis : je veux parler de Miltiade, de Thémistocle et de tous les autres qui, en délivrant la Grèce, ont rendu leur patrie glorieuse et leur propre vie illustre. Or voyez comme il les surpasse en courage et en prudence : ils repous-