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la sublime grandeur du style ; il paraît encore moins vouloir supporter notre traduction que les consolations de ses amis. Il lui plaît de rester éternellement sur son fumier. Peut-être l’auteur du livre a-t-il voulu qu’il ne fût jamais traduit. Cela fait attendre les presses qui impriment cette troisième partie de la Bible. » Dans la préface mise en tête de sa traduction, Luther prétend que si, au lieu de rendre le sens, on s’attachait à traduire ce livre mot à mot, comme le veulent les Juifs et quelques interprètes absurdes, personne n’y comprendrait rien. En quatre jours, c’est à peine si Melanchthon, Aurogallus et lui pouvaient parfois traduire trois lignes de Job[1].

Ces derniers mots, rapprochés de quelques autres textes, nous apprennent comment Luther a travaillé. A toutes les époques de sa vie, Luther a fait appel aux connaissances linguistiques de ses savans amis, de Melanchthon surtout pour le grec, et d’Aurogallus pour l’hébreu. Il n’abordait jamais seul un texte quelque peu difficile ; il semble même que, en dehors de la Bible, il ne fut pas capable de se rendre bien compte tout seul du contenu d’un livre hébreu. Amsdorf lui ayant communiqué un petit livre écrit en cette langue pour savoir ce qu’il renfermait, Luther s’excusa auprès de lui de ne pouvoir le satisfaire. C’était tout simplement un livre de prières hébraïques. Luther se faisait volontiers expliquer les textes avant de les traduire. Cette façon de travailler n’était pas sans analogie avec celle de saint Jérôme. Il suivit le même système dans les remaniemens incessans et les nombreuses révisions auxquels il soumit sa Bible allemande. A propos de ces révisions, Mathesius raconte qu’une fois par semaine le docteur réunissait chez lui, quelques heures avant le souper, ses collègues, Bugenhagen, Justus Jonas, Cruciger, Melanchthon, Aurogallus, Forster, et parfois aussi des savans étrangers. « Après avoir pris toute espèce de renseignemens chez les Juifs ou chez des linguistes étrangers, après avoir demandé de bonnes expressions allemandes à des personnes âgées, le docteur Luther arrivait au consistoire avec sa vieille Bible latine et sa nouvelle Bible allemande, à côté desquelles il avait toujours le texte hébreu. Maître Philippe apportait le texte grec, le docteur Cruciger la Bible hébraïque et chaldéenne. Les professeurs avaient devant eux les rabbins, et docteur Pomeranus (Bugenhagen) le texte latin, qu’il connaissait à fond. Chacun avait préparé à l’avance le passage qu’on devait discuter, et avait étudié les commentateurs grecs, latins et juifs. Alors le président proposait un texte, et écoutait l’avis de chacun. »

Jonas et Habakuk parurent en 1526. On sait que Luther ne pensait pas que les livres des prophètes eussent été rédigés par

  1. Sendbrief vom Dolmetschen der heiligen Schrtft, Walch, XXI, 316.