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bouchers pour voir dépecer devant lui un mouton, afin de mieux expliquer, dans sa traduction, toutes les parties de ces animaux et des autres mammifères que les prêtres hébreux sacrifiaient à leurs divinités. Les longues recherches savantes, l’investigation patiente, l’étude minutieuse des faits, s’allient très bien chez les Allemands à la rêverie et à la poésie. Comme Eckart et tant d’autres, Luther est à la fois un mystique et un érudit.

Trois presses imprimèrent sans relâche les Évangiles, les Actes, les Epitres, l’Apocalypse, et vers la Saint-Michel, dans le mois de septembre de l’année 1522, le Nouveau-Testament allemand parut à Wittenberg. On serait tenté de trouver, avec Richard Simon, que Luther s’est trop précipité dans un ouvrage de cette sorte. Traduire seul en trois mois le Nouveau-Testament, et n’employer que six mois à peine à en revoir la traduction ! que nous sommes loin de ces temps ! Au moins n’accusons pas Luther de précipitation. Il avait la fièvre alors, une certaine fièvre du moins que nous n’avons guère aujourd’hui. Et qu’on ne dise point que la foi religieuse peut seule enfanter de pareils prodiges. Quelques mois avaient suffi également à Érasme, un pur philologue, en tout cas le moins religieux des hommes, pour publier la première édition critique du texte grec du Nouveau-Testament. C’est précisément sur la deuxième édition (1519) du Nouveau-Testament grec d’Érasme que Luther a traduit. On ne peut nier que les notes érudites, les savantes remarques, et jusqu’à l’élégante version du philologue hollandais, n’aient été d’un grand secours pour Luther. Rien ne donne une plus juste idée de la nature des rapports de la réforme avec la renaissance littéraire.

En dehors des questions dogmatiques, ces deux hommes avaient naturellement un grand nombre d’idées communes. Ainsi Érasme se déclare pour l’utilité des traductions de la Bible en langue vulgaire. La lecture du saint livre ne lui paraît pas devoir être interdite aux laïques. Il rappelle que les évangélistes n’ont pas craint de mettre en grec ce que Jésus avait dit en araméen. Les Latins n’ont pas hésité non plus à traduire en leur langue le grec des apôtres. Erasme souhaitait que l’Écriture fût traduite dans toutes les langues ; c’était, disait-il, le vœu et la volonté du Christ que sa doctrine fût répandue dans le monde aussi loin que possible[1]. Rien de plus juste. La traduction de Luther n’était pasjine entreprise contraire aux traditions de l’église apostolique.

Mais les Allemands n’avaient pas attendu Luther pour lire la Bible en leur langue. Sans parler de la version gothique d’Ulfilas,

  1. F. O. Stichart, Erasmus von Rotterdam, seine Stellung zu den Kirche und zu den kirchlichen Bewegungen seiner Zeit. (Leipzig 1870). Voyez les chap. III et IV, 234-308.