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toute sorte de pilules et d’onguent ; mais rien n’y faisait. La table de Luther à la Wartbourg, fournie de gibiers et couverte de flacons de vin du Rhin, était bien pour quelque chose dans ces souffrances physiques. « Voilà huit jours que je n’écris rien, que je ne prie pas, que je n’étudie pas, torturé et par les tentations de la chair et par d’autres ennuis. Si cela ne va pas mieux, j’entrerai publiquement à Erfurt. Je consulterai les médecins et les chirurgiens. Je ne puis supporter ce mal plus longtemps… Ma chair indomptée me brûle d’un feu dévorant. Moi qui devrais être consumé par l’esprit, je me consume de désirs charnels… Je ne suis que luxure, paresse, oisiveté, somnolence. » Rien n’explique mieux le changement des vues de Luther sur le célibat, et ce « fameux » sermon sur le mariage qu’il allait prêcher quelques mois plus tard dans l’église de Wittenberg. Il avait en effet considéré d’abord le célibat comme très favorable à la vie religieuse, d’accord en cela avec ses instincts de profonde mysticité et avec toute la tradition chrétienne ; mais à la Wartbourg la chair étouffa l’esprit. — Luther se laissait vivre. Il ne luttait plus. A quoi bon ? Il se sentait comme emporté à la dérive dans un océan de péchés. Pour se consoler, il avait, outre sa foi, ses conférences avec Satan, sa flûte et sa Bible. Celui-là lui a toujours paru être un piètre théologien, qui n’a pas le diable pendu à son cou. Son grand ennemi, l’ennemi du genre humain, ne le quittait guère, et faisait en somme, dans cette solitude, toute sa société. Avec la prière et la méditation, la tentation est une des trois règles que Luther a toujours regardées comme nécessaires pour arriver à faire de la bonne théologie et de la saine exégèse.

Ses études de linguistique ont naturellement quelque peu souffert de cette vie mondaine. Il est remarquable que ce n’est que dans la seconde moitié de décembre qu’il parle de traduire le Nouveau-Testament. Toutefois, dans une lettre à Spalatin du 30 mars 1522, Luther dit que, dans sa « Patmos, » il avait traduit non-seulement l’Évangile de saint Jean, mais tout le Nouveau-Testament. Dès son retour à Wittenberg, il porta son travail à Mélanchthon. Tous deux se mirent à le revoir avec soin ; le mois d’avril fut employé à cette révision. L’impression commença sur-le-champ. Mélanchthon écrivait à Spalatin pour lui demander des « expressions ; » il faisait aussi appel à ses connaissances en numismatique ancienne. Luther, de son côté, priait Spalatin de lui procurer les pierres précieuses dont il avait besoin pour traduire le chapitre XXL de l’Apocalypse ; il désirait voir la couleur et l’aspect de ces pierres. Ce besoin d’exactitude scrupuleuse, cette préoccupation d’antiquaire dans une œuvre créée en quelque sorte comme un poème, ne doit point nous surprendre chez Luther. Mathesius raconte qu’il appelait parfois des