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étymologie toute une théorie de la pénitence selon la théologie paulinienne ! Ce que dit ici Luther aurait aussi bien pu être écrit par saint Bernard, par Hugues de Saint-Victor ou par tout autre théologien du moyen âge. Une autre document de la fin de janvier ou du commencement de février de l’année 1519 ferait supposer que Luther n’était guère plus avancé en hébreu qu’en grec. Il prétend qu’au lieu de « faisons l’homme à notre image » (Gen., I, 26), il y a dans le texte hébreu « je ferai, » si bien que l’interprétation de saint Augustin, qui voit dans le pluriel du verbe une figure de la Trinité, n’aurait pas de fondement dans le texte. C’est Luther qui se trompe ici, et contre saint Augustin encore, qui n’a jamais prétendu savoir un mot d’hébreu. Plus tard, Luther est revenu de cette inexplicable erreur, et, dans son commentaire sur la Genèse, il a reproduit l’explication traditionnelle de l’évêque d’Hippone.

Ces deux exemples, tirés des lettres mêmes de Luther, démontrent mieux que n’importe quel argument la faiblesse de ses connaissances linguistiques à cette époque, c’est-à-dire après dix ans de séjour à l’université de Wittenberg. On convient que c’est dans cette ville qu’il commençait l’étude du grec et de l’hébreu, sans qu’on sache en quelle année. Est-ce avant ou après son doctorat ? On n’a pas manqué de lui faire étudier ces langues dès le cloître d’Erfurt ; mais cette hypothèse manque de preuves. Aussi bien pas un moine du couvent d’Erfurt n’était en état de l’aider ; il n’était point question d’hébreu dans l’université. Emser en savait un peu ; Luther ne suivit que le cours de langue latine. Certes si Luther avait été un véritable humaniste, s’il s’était senti entraîné vers l’étude des langues anciennes, il eût surmonté tous les obstacles, il serait devenu helléniste ou hébraïsant en dépit de l’insuffisance des moyens que présentait alors ce genre d’étude ; mais Luther n’était rien moins que philologue. Sans la bible hébraïque et grecque, jamais il n’eût jeté les yeux sur un lexique grec ou hébreu. Quand il s’occupa des langues, ce fut très tard et dans un but purement théologique. Depuis la publication des Rudimenia hebraica (1506) de Reuchlin, il n’était déjà plus besoin de grands efforts pour parvenir à une certaine intelligence de l’Écriture. A partir de cette époque, les grammaires et les lexiques hébreux se multiplient en Allemagne et dans les autres contrées de l’Europe. — Rappelons-nous les grands noms de Sébastien Munster et de Santés Pagnini, dont les travaux furent si utiles à Luther pour sa traduction de la Bible et pour ses commentaires exégétiques[1]. Les Juifs convertis, souvent fort peu instruits, mais qui pourtant trouvaient le moyen de se faire payer très cher

  1. Voyez, pour l’origine et le développement des études hébraïques dans l’Europe chrétienne, Ernest Renan, Histoire générale des langues sémitiques, première partie, p. 175 et suiv. (4e édit., 18C4, Paris.)