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DERNIER DISCOURS DU PATRIOTISME ATHÉNIEN.

nus et Tyrtée, sinon l’image de solennités nationales, du moins les expressions du regret patriotique auquel tout l’état s’associait vers le commencement du VIIe siècle avant Jésus-Christ dans la ville ionienne d’Éphèse comme dans la dorienne Sparte. De l’existence de ce sentiment commun au fait de funérailles publiques, la distance ne peut paraître considérable, si l’on songe que les mœurs de la royauté héroïque, protégées par la religion, avaient dû se conserver en partie dans les formes de gouvernement qui lui avaient succédé, et qu’aucune prescription religieuse n’était restée plus impérieusement obligatoire que celles qui se rapportaient à la sépulture des morts. Cependant il semble que c’est seulement chez les Athéniens, et à une époque moins éloignée, que l’état, par un mouvement hardi de la démocratie la plus puissante et la plus féconde qui ait existé dans l’antiquité, ait saisi résolûment l’héritage des nobles familles qui avaient régné autrefois en Grèce, et institué au nom de tous des fêtes funèbres dont l’éclat le disputait aux plus brillans souvenirs de l’âge épique. Athènes n’admit plus ces fêtes particulières, comme on en voyait encore sur d’autres points de la Grèce et comme les mœurs romaines en multiplièrent les exemples, où une famille se glorifiait elle-même près de la tombe d’un de ses membres : elle eut des fêtes nationales où la patrie honora tous ses enfans près du monument commun des braves qui à l’heure du péril venaient de lui sacrifier leur vie.

Ainsi dans ces cérémonies, qu’Athènes organisa selon toute vraisemblance au milieu de l’exaltation inspirée à sa jeune république par les victoires remportées sur les Perses, la grande innovation, ce fut l’idée démocratique, alors étroitement unie avec le patriotisme, se substituant à l’idée aristocratique. L’idée démocratique, dans la solennité qu’elle instituait en son honneur, voulut être directement exprimée ; elle choisit la langue de la politique, la prose, et ce fut l’origine du discours funèbre. D’ailleurs il n’était pas possible de changer les habitudes et les besoins de la foule qui se réunissait dans ces circonstances au Céramique. À côté de la pompe et du spectacle destinés aux yeux, il fallait pour les oreilles et pour l’imagination ces plaisirs délicats que la poésie avait toujours été chargée de leur fournir et qu’elle leur fournissait encore, à ce même moment, dans des occasions analogues, témoin le beau chant de Simonide sur les morts des Thermopyles : « … Ils ont pour tombe un autel ; on ne les pleure pas, on rappelle leur gloire ; on ne gémit pas sur eux, on les loue. Une telle sépulture ne craint ni la rouille ni la flétrissure du temps, le dompteur universel. » Pour la pensée et même pour certains caractères de la forme, Thucydide ne s’éloignera pas beaucoup du poète de Céos, quand il fera dire à Périclès sur la tombe des premières victimes de la guerre