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DERNIER DISCOURS DU PATRIOTISME ATHÉNIEN.

décadence, déjà trop avancée, tout cela donne à ce dernier drame politique et militaire un degré de pathétique auquel n’atteignent pas les temps plus heureux. C’est du reste le meilleur de la civilisation antique, c’est l’élite de l’humanité qui dispute à une ruine fatale son honneur et sa vie. Si ce spectacle procure la triste satisfaction de discerner nettement les causes qui frappèrent de stérilité une tentative généreuse, il nous réserve aussi une consolation : nous voyons qu’une certaine gloire ne manque pas à cette résurrection des meilleurs sentimens, et à la défaite définitive survit un beau souvenir, consacré par l’histoire et par l’éloquence.

C’est sur ce rôle de l’éloquence que la découverte du discours d’Hypéride nous permet d’insister, rôle surtout remarquable par son étroit rapport avec celui du patriotisme. Cette courte année de la guerre lamiaque forme dans la période macédonienne une des deux seules époques où le patriotisme ait franchement dominé chez les Athéniens. La première est marquée par le combat de Chéronée ; c’est sans contredit la plus grande, moins encore par la réalité de la puissance d’Athènes au moment de l’acte dernier de sa lutte contre Philippe que par la possession et la conscience de sa dignité, car elle reste digne après le désastre, et au moment de sa chute elle n’accuse que la fortune. Elle ne s’en prend pas à un homme, elle respecte et glorifie celui qui l’a poussée vers la défaite : grand exemple dans une démocratie disposée à confondre sa vanité avec son honneur, et à chercher un coupable et un traître pour soulager son ressentiment. Les vaincus de la guerre lamiaque tombent moins noblement ; mais quand Athènes ose attaquer Antipater, elle porte dans cette entreprise hardie autant de passion et de dévoûment, peut-être même plus d’union dans l’espérance et le sacrifice. Or chacune de ces deux époques a son monument oratoire. Il n’est que juste de considérer comme le monument de la politique athénienne au moment de Chéronée le discours de défense prononcé par Démosthène dans le procès de la couronne. Le monument de la guerre lamiaque, c’est le discours d’Hypéride que nous avons retrouvé.

Ce serait en surfaire la valeur que de le placer sur la même ligne que la grande composition où se révèle à nous avec Démosthène toute la puissance de l’éloquence attique. C’est une œuvre d’une courte étendue, d’un genre spécial, soumis à des conditions déterminées, lesquelles, semble-t-il, sont médiocrement favorables au libre exercice des plus vives facultés oratoires, — c’est un éloge funèbre. Hypéride, après la mort de Léosthène et la première partie de la guerre lamiaque, avait été l’orateur des funérailles publiques qu’Athènes avait célébrées, et ce sont ses paroles qu’un caprice du hasard vient de remettre sous nos yeux ; mais cette oraison funèbre, prononcée dans des circonstances particulières, se distingue