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paroles d’approbation. On attendait une œuvre accomplie et chaque fois est arrivée la déception ; le jeune homme qu’on avait pensé devoir être sévère envers lui-même était devenu facile à contenter. L’expérience est décisive et profondément instructive. Pour approcher de la perfection, il faut des efforts inouïs, et sans une conscience inébranlable le labeur pèse à l’homme convaincu qu’autour de lui on distinguera peu entre l’ouvrage médiocre et l’ouvrage excellent. Une vérité de tous les temps et de tous les pays, c’est que les talens grandissent et s’affermissent seulement dans une société capable d’apprécier ce qui est beau.

En Grèce, les aptitudes à s’élever aux plus hautes spéculations de l’esprit existent sans doute encore cachées sous l’ignorance qui les dissimule. Des jeunes gens qui viennent fréquenter nos écoles témoignent que, si les caractères physiques des anciens Hellènes ont persisté, l’intelligence également est demeurée vive. Pourtant l’art et la science sont morts en Grèce, et dans ce pays il n’y a point eu de réveil. On parle de la corruption des masses, des bas instincts qui ont envahi une grande partie de la nation, et mille voyageurs assurent que la Grèce d’aujourd’hui est inaccessible au progrès. Cette opinion ne semble nullement justifiée par l’état moral du peuple ; toute la question serait de refouler le mal. Si les Grecs vivaient sous un gouvernement composé d’hommes vraiment éclairés, il est à croire que dans un avenir peu éloigné plus d’un d’entre eux ferait revivre des talens dignes de l’antiquité. Au reste, quelle admirable expérience scientifique à tenter que de reconnaître si une race qui a donné le spectacle de toutes les grandeurs de l’esprit a définitivement perdu les qualités qui la distinguaient, ou conservé intactes à travers les ténèbres les facultés éminentes qui ont émerveillé le monde ! Selon beaucoup de probabilité, l’expérience serait heureuse. Une instruction sérieuse, fondée sur l’observation des faits dans les écoles de la Grèce, et pour les jeunes gens des voyages en Europe, des séjours près des meilleurs maîtres, relèveraient sans doute bien vite le peuple déchu. A ceux qui ne croient point à la possibilité d’une pareille résurrection, à ceux qui doutent que le sort d’une nation dépende du savoir et de la hauteur de vue des hommes chargés de la direction des affaires publiques, il suffira de rappeler quelle était la condition des Moscovites le jour où Pierre Ier entreprit son œuvre. Au XVIIe siècle, si l’on avait demandé dans la ville des Médicis aux fins politiques, à Paris aux lettrés de l’hôtel de Rambouillet, à Londres aux savans et aux philosophes qui fondaient la Société royale, une opinion sur l’avenir des Moscovites, la réponse certainement aurait été désobligeante. Pourtant aujourd’hui il y a en Russie des hommes distingués dans la plupart des branches des connaissances humaines. Une haute intelligence servie par une