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dont on conservera la mémoire. Les lignes que Cuvier avait écrites étaient oubliées, ou plutôt on ne les avait jamais lues ; nous les reproduisons afin qu’on juge quel a été le progrès des idées dans certaines régions. « Cette habitude, dit l’illustre zoologiste, que l’on prend nécessairement en étudiant l’histoire naturelle, de classer dans son esprit un très grand nombre d’idées, est l’un des avantages de cette science dont on a le moins parlé, et qui deviendra peut-être le principal lorsqu’elle aura été généralement introduite dans l’instruction commune ; on s’exerce par là dans cette partie de la logique qui se nomme la méthode à peu près comme on s’exerce par l’étude de la géométrie dans celle qui se nomme le syllogisme, par la raison que l’histoire naturelle est la science qui exige les méthodes les plus précises, comme la géométrie celle qui demande les raisonnemens les plus rigoureux. Or cet art de la méthode, une fois qu’on le possède bien, s’applique avec un avantage infini aux études les plus étrangères à l’histoire naturelle. Toute discussion qui suppose un classement des faits, toute recherche qui exige une distribution de matières se fait d’après les mêmes lois, et le jeune homme qui n’avait cru faire de cette science qu’un amusement est surpris lui-même, à l’essai, de la facilité qu’elle lui a procurée pour débrouiller tous les genres d’affaires. »

Dans la société cultivée, l’homme pris en état d’ignorance d’un fait notable de l’histoire des peuples éprouve au moins quelque confusion. Il n’imagine pas au contraire qu’on soit étonné de ne trouver en lui aucune notion de l’histoire du monde physique, ni des grands phénomènes de la vie, ni des fonctions de son propre organisme. C’est tout simple : il a payé pour recevoir une instruction complète, et on l’a trompé en le privant des connaissances les plus élémentaires sur les sujets auxquels se lie étroitement l’existence de tous les individus. Bien peu de personnes savent l’origine et surtout la nature des substances qui servent à les nourrir, moins encore celles des matières employées à les vêtir. La nécessité d’acquérir des idées justes sur notre propre économie et sur les objets indispensables à nos besoins est dictée par un puissant intérêt personnel ; l’observation de la nature s’impose dans certaines limites par l’effet qu’elle produit sur l’esprit. Sous des formes parfois pompeuses, on a souvent rappelé combien les beaux spectacles de tout genre qui se dévoilent à chaque pas sur la terre inspirent à l’âme de hautes pensées et de nobles aspirations. La plupart des grands poètes ont été des contemplateurs. L’admiration de la nature, cette source d’instruction universelle, est un sentiment inné chez l’homme, et ce sentiment venant à être un peu exalté dans la jeunesse, le désir d’observer se manifeste, le goût de la recherche