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doit des amendes fabuleuses, qu’on a cru s’acquitter intégralement et qu’on reste débiteur de sommes inimaginables. » Le temps n’est plus où les hauts administrateurs de Reims promettaient d’accueillir toute plainte légitime ; M. Pochhammer avertit, une fois pour toutes, les maires qu’il est « impossible d’accorder aucune réduction, et qu’il faut s’abstenir d’envoyer des réclamations, qui resteront sans réponse. » C’est que la curée touche à sa fin. Ce bel or de France, dont le soldat serre précieusement quelques pièces dans son mouchoir, le caissier impérial le palpe avec volupté, pièce à pièce (pecuniam probant veterem et diu notam, dit Tacite en parlant des Germains, amant serratos bigatosque), et toujours il tend la main au guichet, où se succèdent les victimes. Une seule pensée trouble sa joie : est-ce qu’il ne restera pas encore beaucoup d’or dans ce pays maudit, quand le guichet sera fermé ?

Ruiner la France était le rêve des Allemands. A l’heure du déménagement, ils emporteront tout ce qu’ils pourront emporter. En attendant, ils détruisent tout pour le plaisir de détruire et de penser qu’il en coûtera cher aux vaincus de réparer ces dégâts. A Laon, ils s’acharnent aux ruines de la citadelle ; ils enlèvent le plomb des couvertures, les charpentes, les portes, les escaliers, vendent une partie de ce butin à des brocanteurs allemands ou français, brûlent le reste ou le jettent par-dessus les murailles ; ce jeu coûte la vie à deux personnes qui passent par là. Des fourneaux de mine sont préparés pour faire sauter les murs, et le conseil municipal proteste contre de pareils préparatifs, poursuivis en pleine paix. A La Fère, on enlève des établissemens militaires le bois et le fer qui sont en magasin ; on arrache et on brise tout ce qui est scellé dans la construction ; on vend à la criée les outils et les meubles. L’Hôtel-Dieu est menacé d’un sort pareil, car les Prussiens font demander un inventaire du mobilier qui garnit les salles ; l’administration n’épargne à la ville cette dévastation nouvelle qu’en prouvant que l’hospice est purement civil, qu’il a été fondé par des donations privées et n’appartient point à l’état. A La Fère aussi, les fortifications, les piles de barrages ont été minées, et l’on a cru longtemps que l’ennemi les ferait sauter.

Il fallait voir, dans ces tristes heures de pillage et de destruction, les soldats et les officiers allemands qui vivaient dans nos maisons. Nous les regardions un jour dans une ville où l’exécution militaire était annoncée pour quatre heures, si l’argent réclamé n’était point versé avant cette heure-là. La population était dans l’anxiété ; on s’interrogeait pour savoir si la souscription ouverte en toute hâte atteignait le chiffre prescrit. « Il manque encore tant, disaient ceux qui venaient de porter à l’hôtel de ville leurs