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et formels appartient au peuple, et ne peut appartenir qu’à lui, Tandis qu’en France la souveraineté populaire est un pouvoir endormi, qui ne s’éveille qu’en temps de crise et ne se manifeste que par une éruption comme un volcan, en Amérique la souveraineté populaire est toujours debout, toujours vigilante ; elle seule a le droit de résoudre les difficultés constitutionnelles. J’insiste sur ce point, car c’est faute d’avoir compris cette permanence de la souveraineté dans les mains du peuple qu’en France on a toujours livré les droits de la nation ; et la nation elle-même aux usurpations des assemblées.

Qu’une constitution limite les attributions du chef de l’état, nous le comprenons sans peine, nos chartes ne font guère autre chose : nous trouvons aussi tout naturel que les chambres n’aient qu’un pouvoir de législation et ne se mêlent ni d’administration ni de justice ; mais ce qui est nouveau pour un Français, ce qui l’étonnera et peut-être le choquera, c’est que dans le champ de la législation les assemblées n’aient qu’une action étroitement bornée, et qu’on leur interdise d’entrer en certaines parties de ce domaine, dont elles se considèrent comme maîtresses absolues. Pour les Français, les chambres sont la voix de la nation, et, comme rien ne peut limiter la volonté nationale, il nous semble que rien non plus ne doit limiter l’autorité législative des assemblées. Nous identifions le mandataire et le mandant, déplorable confusion qui confisque la souveraineté nationale au profit de quelques hommes et met le pays à leur merci. Pour les Américains au contraire, la souveraineté est inaliénable ; les députés n’ont qu’un pouvoir subalterne et dérivé ; il ne leur est jamais permis d’oublier que le peuple est leur maître, et qu’ils n’ont aucun droit d’excéder le mandat qu’ils ont reçu de lui.

Ce mandat, c’est la constitution. Non contens de chercher dans la division du pouvoir législatif, dans l’indépendance du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire, une barrière qui arrête l’usurpation des assemblées, les Américains ont encore introduit dans leurs constitutions des clauses restrictives qui définissent étroitement la compétence du gouvernement. Ces clauses restrictives sont ce qu’on appelle les déclarations de droits. Ce ne sont pas, comme chez nous, des thèses philosophiques, si générales et si vagues qu’elles ont le défaut de tout promettre et de ne rien tenir : ce sont des maximes concrètes, des lois formelles et supérieures, contre lesquelles tout ce que fait le législateur ordinaire est nul de soi. A vrai dire, ce sont les vieilles libertés anglaises rédigées en articles ; c’est le common law régnant en souverain de l’autre côté de l’Atlantique. C’est ainsi qu’aux États-Unis aucune assemblée, fût-ce même le congrès, ne