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la veut, et il évoque du fond de l’Erèbe, par une incantation terrible, un démon puissant, expert dans le mal, et qui n’ait ni la lâcheté ni la sottise des deux autres ; il lui en arrive un à la mesure de son désir, fier, audacieux, impudent, dont le regard seul fait trembler. « Que me veux-tu ? dit ce démon à Cyprien, parle. — J’aime, répond celui-ci, j’aime avec passion une fille des Galiléens ; il me la faut. — Elle sera à toi, dit le démon. — C’est bien, répliqua le magicien ; mais explique-moi d’abord qui tu es et quelles sont tes œuvres, si tu veux que j’aie foi à tes paroles. — Écoute donc, reprend le diable, et juge-moi. J’appartenais au premier rang des cohortes angéliques, quand, mon père m’ordonnant de le suivre (le poète semble admettre ici la génération des démons), j’abandonnai le roi qui domine les sept orbes du ciel ; je fis la guerre à ses fidèles, et voici un de mes exploits. Je minai les fondemens du ciel, et, par une fissure que je pratiquai, je fis choir sur la terre toute une troupe des habitans de là-haut. C’est par moi qu’Eve, la mère du genre humain, fut trompée, qu’Adam fut chassé des rians vergers de l’Éden. Lorsque Caïn tua son frère Abel, je guidais la main du fratricide, et c’est grâce à moi que la terre, ayant bu le sang humain, fut frappée de stérilité, et ne produisit plus d’elle-même que des ronces et des fruits sans saveur. Dans mon désir d’offenser Dieu, j’accumulai sous ses yeux tous les spectacles qu’il abhorre ; je fis entrer l’adultère au lit de l’épouse ; de ces hommes nouvellement créés, je fis des adorateurs d’idoles, et ils coururent répandre des libations devant un taureau au regard farouche ; je les conseillais, je leur suggérais le crime, ils le commettaient. Que te dirai-je encore ? Lorsque le Verbe de Dieu, le Fils éternel du Père, descendit dans le monde pour sauver ceux que j’avais perdus, c’est moi qui poussai les Juifs à l’attacher à un gibet ! » Cyprien, à ce récit, reconnut qu’il avait affaire à un des princes de l’enfer. « C’est bien, lui dit-il, prends cette herbe, asperge de cette eau le tour du lit de Justine, et je te suivrai de près. » La troisième heure de la nuit était arrivée lorsque le démon entra sous le toit de la vierge ; elle se réveilla en sursaut, et reconnut l’esprit du mal à ses sourcils brûlés par la foudre. Effrayée, le cœur palpitant, elle invoque le Christ, son protecteur, et se met à l’abri sous le signe de la croix.

Après cette scène, qui ne manque assurément ni d’originalité ni de poésie, le démon retourne vers le magicien, qui l’accable de railleries et le chasse ignominieusement. Il emploie alors ce que les enchantemens de la Thessalie ont de plus énergique pour en évoquer un autre qui le serve mieux. « Je sais ce que tu désires, dit celui-ci en apparaissant, et c’est notre dieu qui m’envoie. — Pars donc, s’écrie le magicien, prends ces herbes, frottes-en la chambre de