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guerre à lui seul, se faisant fort de lui livrer la Syrie avec sa capitale, la grande Antioche. C’était assurément très généreux de la part de Mondar ; mais les choses se passèrent en réalité tout autrement que dans l’imagination du phylarque arabe.

Les légers escadrons d’Hirah furent exacts au rendez-vous. Une cavalerie innombrable, serrée et dévorante comme une nuée de sauterelles, s’abattit sur la Mésopotamie ; mais bientôt on ne sait quelle terreur panique s’empare de ces barbares : ils se croient entourés par les lignes romaines, et dans leur hallucination ils regagnent l’Euphrate, où ils se précipitent avec leurs chevaux. L’Euphrate en cet endroit était encaissé et rapide ; il entraîne ces masses désordonnées qui se brisent les unes contre les autres, et les engloutit dans ses eaux. Ce fut un désastre à peine croyable : les historiens romains portent à 100,000 le nombre des morts, les historiens arabes à 70,000. Cependant les Sarrasins n’étaient pas détruits, et, revenus de leur terreur, ils reprirent bientôt la campagne. Le temps était aux épouvantes, et l’armée d’Ardabure éprouva la sienne. Bahram approchait de Nisibe avec des forces imposantes, où les éléphans figuraient en très grand nombre. Les Romains d’Orient, qui auraient dû être familiarisés avec l’emploi de ces énormes animaux, éprouvèrent à leur approche la même crainte que jadis les légions de l’Italie en face des éléphans de Pyrrhus, ou du moins ils s’effrayèrent de leur multitude et perdirent courage. Le général, ne jugeant pas à propos d’attendre l’ennemi avec cette disposition de ses soldats, mit le feu à ses machines, et regagna les terres de l’empire.

Bahram, victorieux sans coup férir, ne voulut pas quitter la Mésopotamie avant de s’être signalé par quelque fait mémorable. Il alla assiéger Rhéséna, nommée Théodosiopolis depuis que le grand Théodose l’avait rétablie. Rhéséna était plutôt un gros bourg fortifié qu’une ville proprement dite, quoique Théodose l’eût fait orner de beaux édifices, d’aqueducs et de hautes murailles. Située au pied des montagnes qui séparaient l’Arménie romaine du territoire persan, non loin des sources nombreuses qui donnent naissance à l’Euphrate septentrional, Théodosiopolis avait une grande importance pour le maintien de la domination romaine dans l’Arménie cédée à l’empire. Elle n’avait pourtant pas reçu de garnison, la guerre ne paraissant pas devoir se porter de ce côté ; mais les habitans étaient décidés à se défendre jusqu’à la mort, et ils avaient à leur tête un évêque d’une énergie à toute épreuve, Eunomius, qui se fit leur général, car la guerre contre les adorateurs du feu était pour tout chrétien une guerre sainte. Eunomius, à la fois chef et soldat, entreprit de sauver sa ville ou de périr avec elle, s’il