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s’appliquaient à ne s’exprimer que par des sentences probablement très méditées. Celles qui coururent Constantinople et que les collecteurs d’anecdotes nous ont conservées n’indiquent pas un grand enthousiasme pour la ville que ces étrangers parcouraient et pour le souverain qui leur en faisait connaître les beautés ; presque toutes portent un cachet satirique qui décèle le secret mépris des enfans d’Athènes pour la Rome de Constantin et pour son gouvernement chrétien. Voici quelques-uns de leurs bons mots, qui donneront une idée des autres. On les avait conduits à l’hippodrome, dont ils examinèrent attentivement toutes les statues. Un d’entre eux, nommé Kranos, s’étant arrêté devant le groupe appelé Périchitès, où l’on voyait un âne doré suivi d’un soldat sous les armes, s’écria : « O l’heureux temps et l’heureux état où ce sont les ânes qui mènent les hommes ! » Le mot eut, à ce qu’il paraît, beaucoup de succès. Un autre de ces sophistes, nommé Silvanus, ayant aperçu une statue d’or courbée sur un genou, ne craignit pas de dire, comme animé d’un sentiment prophétique : « Voilà ce qui nous indique que les temps d’abaissement sont proches ! » Le reste était à l’avenant.

Cependant les frères d’Athénaïs, sitôt que la brillante fortune de leur sœur avait paru se dessiner, s’étaient sauvés précipitamment d’Athènes, tremblans d’effroi, et avaient couru se cacher dans un lieu qu’on ignorait. Athénaïs les fit rechercher et amener devant elle dans son palais. C’était une scène dramatique qu’elle leur préparait, car au fond la nouvelle impératrice était bonne, et son élévation inespérée devait la disposer à l’indulgence. Quand ils parurent devant elle, pâles de frayeur et bourrelés de remords, elle leur laissa balbutier des excuses, leur pardonna et sollicita même de son mari pour ces mauvais frères des places qu’ils n’avaient guère méritées. Entrés tous deux dans les fonctions publiques, ils y firent un chemin rapide : l’un arrivait à la préfecture d’Illyrie, l’autre devint successivement intendant du trésor et maître des offices. « Pourquoi vous en voudrais-je ? leur avait dit Athénaïs, ne suis-je pas après tout votre obligée ? En me refusant un petit héritage, vous m’avez donné une couronne. D’ailleurs vous étiez prédestinés à l’accomplissement de mon horoscope. »


IV

La nouvelle d’une victoire remportée par les armées romaines sur les Perses vint interrompre les réjouissances du mariage ou plutôt ajouter d’autres fêtes aux premières. La guerre en effet s’était rallumée l’année précédente entre la Perse et l’empire : ces