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cérémonial, d’un caractère symbolique, qui montre quelle affinité existait au fond entre la profession de sophiste et celle d’hiérophante des mystères, voulait qu’avant de revêtir le manteau qu’il avait mérité de porter le néophyte fût plongé dans un bain comme pour y laisser le vieil homme. L’empêcher de s’approcher de la piscine était la tâche de ses adversaires ; lui frayer un chemin, celle de ses partisans. On le huait d’un côté, on l’encourageait de l’autre. « Arrête, arrête, tu n’arriveras pas ! » lui criaient ceux qui défendaient l’accès du bassin. « Avance, avance ! » répondaient ses amis, qui le poussaient à travers la haie des opposans ; on se bousculait, on se battait. L’aspirant était enfin jeté à l’eau : on l’en retirait pour le conduire dans une cellule chauffée et le laver, puis il revêtait le manteau tant désiré. C’était alors une promenade triomphale par la ville, des réjouissances et un grand festin qu’il payait aux chefs de la confrérie.

Léontius était un de ces aspirans de mérite qui n’avaient ni protections ni argent, et il désespérait de lui-même quand la tempête amena sur les côtes de l’Attique un étranger alors célèbre, l’historien Olympiodore, homme de lettres, homme de cour, voyageur infatigable, qui vivait dans l’intimité de la maison impériale, et avait été chargé de plusieurs ambassades chez les barbares. Ce haut personnage, observateur curieux, se plut dans Athènes et y séjourna quelque temps, choyé par les savans comme par les magistrats. Il prit intérêt aux chagrins de Léontius, le patronna et fit triompher sa candidature. En peu de temps, Léontius acquit un nom, et l’argent lui arriva avec la gloire ; il acheta des terres, se bâtit des maisons splendides, qu’il orna de tableaux, de statues, de tapis précieux, et il passa pour un des citoyens opulens d’Athènes. Il avait trois enfans : deux fils, qui prirent d’autres carrières que lui, et cette belle Athénaïs dont nous avons parlé, et qui devait probablement son nom à quelque vœu fait à Minerve. Sa fille était l’objet de ses plus chères affections ; il l’éleva lui-même et comme lui-même : rhétorique, philosophie, mathématiques, astrologie, elle apprit tout ce qui s’enseignait dans les écoles et se distingua en tout. Elle improvisait des discours avec facilité, et faisait des vers aussi bien que les meilleurs poètes du temps. Elle eût pu au besoin occuper la chaire de son père et s’y rendre célèbre dans l’enseignement des lettres, comme Hypatie, cette triste victime du fanatisme religieux, dans l’enseignement de la philosophie à l’école d’Alexandrie. Avec ses talens et sa beauté croissante, le père ne douta point qu’elle ne fît un grand mariage ; il avait même consulté son horoscope et trouvé qu’elle devait épouser un roi.

Il était au milieu de ces rêves quand il mourut, et son testament