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bataille, riche territoire où la charrue n’a laissé debout que quelques bouquets d’arbres, au milieu desquels se cachent les grandes fermes et s’élèvent les cheminées des sucreries.

Du côté du 22e corps, l’action n’a été, quatre heures durant, qu’un combat de tirailleurs et d’artillerie. En allant du canal à la route de Cambrai, on rencontre successivement la brigade Lagrange, la brigade Isnard, et la division des mobilisés. La brigade Michelet est en réserve. Deux batteries sont établies à l’extrême droite pour défendre la route de Cambrai. Au centre, une batterie occupe une position qui vaut celle du Moulin-de-Tout-Vent ; enfin l’artillerie de réserve couronne à la gauche du 23e corps des hauteurs qui commandent la route de Ham, par laquelle l’ennemi attend ses renforts. C’est vers deux heures de l’après-midi seulement que l’ennemi tente d’exécuter à notre droite le mouvement tournant prescrit par von Gœben. Il attaque vivement la division des mobilisés, qui abandonne le village de Fayet, et découvre un moment la ligne de retraite ; mais des troupes et de l’artillerie envoyées en toute hâte par le général en chef, la brigade de mobilisés, accourue de Bellicourt, rétablissent le combat. Fayet est repris et occupé par un bataillon de mobiles. A gauche, les brigades Isnard et Lagrange contiennent l’ennemi, et pénètrent à plusieurs reprises dans le bois de Savy, où se livrent de sanglans combats.

Jusqu’à trois heures de l’après-midi, les Allemands sont tenus en échec ; leurs efforts pour tourner notre droite par la route de Cambrai, notre gauche par la route de La Fère, pour percer notre centre à Gauchy, ont échoué. Il s’en faut que le général von Kummer ait accompli sa mission, qui était de culbuter tout ce qu’il trouverait devant lui. Notre artillerie, admirablement postée, dirigée et servie, fait subir aux masses allemandes des pertes énormes. Deux batteries essaient les nouveaux obus inventés par le général Treuille de Beaulieu : ces obus, en éclatant, projettent à 200 et 300 mètres en avant une gerbe de balles qui mettent en débandade l’infanterie. La fureur et la frayeur des Allemands sont au comble : ils en donnent, dans les villages qu’ils occupent, des preuves non équivoques. L’officier sait bien que les renforts arrivent, qu’ils arriveront toute la journée, demain encore et après-demain, jusqu’à ce que nous ayons plié, écrasés par le nombre. Il se montre fort calme. A la ferme de la manufacture, près de la batterie placée en avant d’Essigny, pendant que les hommes de la troupe de soutien pillent la maison de la cave au grenier et que deux femmes, qui ont voulu rester là, tremblent sur leurs chaises collées au mur, l’officier, nonchalamment étendu sur le lit, joue avec la frange du rideau, et, voyant les deux malheureuses qui prient et qui pleurent, il disserte sur la Providence, dont la main châtie la France