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privilégiée. Il fallut qu’à plusieurs reprises la loi elle-même intervînt pour mettre un frein à cette dangereuse corporation.

Au lever du jour, l’armée se mit en marche sous la conduite de Cyrille, et investit le quartier des Juifs. Les synagogues furent d’abord pillées et incendiées, puis on passa aux maisons particulières. Les Juifs, encore endormis, se défendirent à peine, et ceux qui se défendirent furent tués ; le reste, hommes, femmes, enfans, s’enfuit en désordre devant la flamme et le fer des assaillans. Ils essayèrent de gagner la campagne, abandonnant tout derrière eux, et de la campagne ils gagnèrent les autres nomes d’Égypte et les provinces voisines, poursuivis par une indicible terreur. Ce fut le sac d’une ville prise d’assaut, et le pillage s’opéra sous les yeux d’un archevêque chrétien. Lorsque le préfet, informé trop tard, envoya des troupes pour faire cesser le désordre, le quartier juif n’existait plus. Cette belle colonie, qui depuis Alexandre avait fondé la prospérité commerciale de la ville et celle de l’Égypte, avait cessé d’être : désastre non moins grand pour le reste de l’empire que pour ce port fameux, le premier de l’univers romain. La désolation fut extrême au palais de Constantinople. Oreste accusa les chrétiens et Cyrille en particulier ; mais Cyrille adressa à la cour une version qui incriminait uniquement les Juifs et leur implacable haine contre la religion du Christ. L’or, distribué à profusion aux eunuques et aux courtisans, vint à point fortifier ses argumens, et Pulchérie se contenta de demander que l’archevêque et le préfet se réconciliassent. Cyrille voulait effacer par là les suites de son action ; mais le préfet s’y refusa obstinément. L’archevêque alla jusqu’à lui présenter comme un gage de paix le livre des évangiles ; le préfet crut de son devoir de ne pas céder, regardant comme le plus grand des malheurs de laisser l’Égypte à la merci d’un pareil tyran.

On en était là lorsqu’une troupe de cinq cents moines, descendus de la montagne de Nitrie pour porter assistance à leur évêque qu’ils croyaient en péril, complotèrent de tuer le préfet lui-même : cela aurait mis fin à la querelle. Postés près d’une rue où devait passer ce fonctionnaire, ils arrêtèrent les chevaux de son char, et firent pleuvoir sur lui une grêle de pierres. Un d’entre eux, nommé Ammonius, l’atteignit à la tête, et le préfet, tout en sang, fut ramené à grand’peine dans son palais. Des troupes accourues dispersèrent ces moines assassins, et le peuple indigné prit cette fois fait et cause pour son magistrat. Ammonius, conduit à la préfecture, mis à la question pour qu’il eût à désigner ses complices, y mourut dans les tourmens. Le patriarche fit enlever son corps, l’exposa dans une église, prononça publiquement son panégyrique en lui donnant le titre de martyr ; mais ces démonstrations n’ayant pas rencontré