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Or un samedi du mois de mars de cette année 415, jour férié pour les Israélites, comme on sait, ils se trouvèrent nombreux au théâtre, où jouait un pantomime. Les chrétiens applaudissaient-ils, sifflaient-ils ? on ne sait ; mais les Juifs prirent aussitôt la contre-partie, et le tumulte commença. C’était au théâtre que le préfet avait coutume de publier ses édits, et il avait renouvelé celui qui interdisait toute manifestation bruyante pendant les jeux : il menaça donc du châtiment les agitateurs qui venaient enfreindre ses ordres jusqu’en sa présence, et les Juifs, à tort ou à raison, signalèrent comme le provocateur du trouble un certain Hiérax, sorte de maître d’école, familier de l’évêché, et le chef des applaudisseurs quand Cyrille parlait en public. « Il était venu, disaient-ils, pour espionner ce que ferait le préfet, et montrer le mépris qu’on avait de ses ordonnances. » Le préfet, irrité contre l’archevêque, qui le contrariait en tout et le desservait à la cour, fit saisir Hiérax, qui fut mis à la torture sur le théâtre même pour qu’il eût à dénoncer ses complices. L’archevêque, au lieu de se plaindre directement au préfet d’un tel procédé, manda, près de lui les primats de la colonie, leur signifiant qu’ils auraient affaire à lui, s’ils continuaient à persécuter les chrétiens. Cette menace arrogante ne fit qu’exciter l’irritation, les partis se trouvaient en présence sans intermédiaire, et les Juifs ouvrirent la lutte.

Peu de temps après, en pleine nuit, ils répandent dans la ville des hommes qui crient que le feu est à l’église nommée église d’Alexandre, et, lorsque les chrétiens accourent pour l’éteindre, des Juifs, apostés se précipitent sur eux, les battent et en tuent quelques-uns ; ils se reconnaissaient à un anneau d’écorce de palmier qu’ils portaient au bras. Ce fut un odieux guet-apens, qui mit en rumeur la ville entière, et Cyrille en profita pour donner suite au dessein qu’il avait prémédité depuis longtemps d’anéantir le quartier juif. A son appel, la multitude s’arma, et les plus déterminés se formèrent en corps d’expédition dont les redoutables parabolans prirent la tête. On appelait de ce nom, qui signifie en grec affronteurs du péril, la corporation des infirmiers et ensevelisseurs des morts de la ville d’Alexandrie, corporation attachée à l’église, et qui, selon toute vraisemblance, succédait au corps hiératique des embaumeurs, si puissant au temps de l’ancienne Égypte. Les membres en étaient choisis par l’archevêque, sous la toute-puissance duquel leurs statuts les plaçaient, et ils lui composaient une garde du corps résolue et bien armée, qui veillait sur lui dans la ville et le suivait au dehors. L’histoire nous montre le nom des parabolans mêlé à beaucoup d’excès commis soit à Constantinople, sort en Asie, partout enfin où se transportaient leurs archevêques, dont ils étaient la milice