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Immédiatement les renforts arrivent de toutes parts à l’ennemi, qui opère d’importantes concentrations de troupes ; mais l’armée du nord s’accroît de trois batteries nouvelles et d’une quatrième division, formée de mobilisés. Elle se divise en deux corps d’armée, le 22e et le 23e, commandés le premier par le général Paulze d’Ivoy, le second par le général Lecointe. Faidherbe commande en chef avec le général Farre pour major-général. De ce jour jusqu’à la conclusion de l’armistice, Faidherbe poursuit avec une habileté, une persévérance qu’on ne saurait trop admirer, l’exécution du seul plan qu’il lui fût permis de suivre : se tenir autant que possible à portée des places fortes, tenter de temps à autre une pointe hardie, battre l’ennemi où il n’est pas en trop grand nombre, le tenir constamment en haleine, l’empêcher d’inonder les provinces ouvertes ou de se porter sur Paris, si l’armée d’investissement de la capitale venait jamais à être menacée. La tâche était rude avec cette armée de 40,000 hommes, qui comptait à peine un tiers de troupes solides. Malade, accablé de fatigues, sans illusion sur l’issue de la campagne, nullement enclin à l’espérance, comme il paraît bien à la trop triste conclusion de son livre, Faidherbe soutint pourtant l’âme de ses soldats par la confiance qu’il leur inspirait. Déconcertés par la nouveauté d’une vie si rude, par la misère et le froid, par la continuité des malheurs de la patrie, ils reprirent courage, et furent dociles à la main du général a fait de bronze, » comme ils disaient.

Chaque fois que Faidherbe a frappé quelque coup vigoureux, les Allemands se donnent beaucoup de mal pour démontrer qu’ils l’ont battu. Ils abusent des apparences, qui sont contre lui, puisqu’il est obligé de ramener toujours son armée à portée des places fortes, et ils se moquent de ses victoires qui font reculer le vainqueur ; mais dans le département de l’Aisne on sait bien que l’ennemi n’est point aussi rassuré qu’il veut le paraître, car à peine Faidherbe a-t-il opéré ses premières concentrations de troupes, et débuté le 23 décembre à Pont-Noyelles, qu’on voit arriver les renforts envoyés à Manteuffel : 8,000 hommes venant de Montmédy passent à Saint-Quentin. Après la bataille de Bapaume, l’ennemi célèbre une nouvelle victoire ; mais on croit plus que jamais aux courtes et mâles proclamations par lesquelles Faidherbe félicite ses soldats, quand on voit se replier les troupes allemandes, qui, s’étendant pour la première fois dans le nord du département, avaient occupé Guise et semblaient menacer Vervins. Inquiet de l’audace croissante de Faidherbe, von Gœben, qui a succédé à Manteuffel, concentre ses forces à la fin de décembre pour lui tenir tête. Faidherbe allait exécuter la plus hardie expédition qu’il ait entreprise, et livrer une des grandes et sanglantes batailles de cette guerre.