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général de brigade. Pas une heure n’est perdue. Quand le général Bourbaki prend le commandement en chef, le 22 octobre, avec le général Farre, qu’il a nommé major-général, l’œuvre est en bonne voie ; quand il la quitte, le 19 novembre, une première division est organisée, six batteries sont à peu près en mesure d’entrer en campagne, d’anciens sous-officiers, des officiers évadés de Metz et de Sedan, ont fourni les cadres. Resté à la tête de l’armée, le général Farre forme une seconde division, et il achève les préparatifs nécessaires à la mobilisation des troupes. Des marchés sont conclus pour l’habillement et l’équipement ; mais, comme la fabrication de ces objets se fait d’ordinaire à Paris, il avait fallu s’adresser à l’étranger en même temps qu’à l’industrie privée et ne point se montrer difficile sur la qualité des fournitures. Peu nombreuses et accablées de besogne, les commissions de vérification acceptèrent un jour une livraison de souliers dont les semelles se composaient d’une feuille de carton entre deux tranches de cuir. Les malheureux soldats qui usèrent en quelques jours ces souliers sur les routes durcies par la gelée ou détrempées par la pluie purent envier le sort des fameux volontaires en sabots de la première république. Il ne faut point s’étonner qu’une aussi faible armée n’ait pu ni secourir La Fère, ni soutenir, le 27 novembre, le choc de l’armée de Manteuffel dans cette bataille d’Amiens où 35,000 Allemands furent engagés. On avait organisé à la hâte, quelques jours avant le combat, la 1re brigade d’une seconde division ; le jour même, une batterie arrivait sur le champ de bataille, par le chemin de fer, à dix heures du matin, et ouvrait son feu à une heure de l’après-midi. Le service des munitions n’avait pu être complètement assuré, car l’artillerie et l’infanterie en manquèrent à la fin de la journée. Pourtant l’ennemi éprouva des pertes aussi fortes que les nôtres, et, quand il ramassa nos morts sur le champ de bataille, il n’en put croire les livrets qui attestaient que de très jeunes soldats avaient combattu avec tant d’honneur contre de vieilles troupes. Mais ce qui donne à l’histoire de l’armée du nord un intérêt particulier, c’est qu’en dépit de toutes les épreuves elle continue à s’organiser et à s’accroître, et qu’elle n’est jamais si près de rentrer en ligne que quand l’ennemi la déclare battue et détruite. Quand le général Faidherbe en prend le commandement, la seconde division est complétée, et l’armée du nord s’appelle le 22e corps. Aussitôt une troisième division s’organise, et déjà l’artillerie compte dix batteries ; 30,000 hommes et 60 canons sont prêts à entrer en campagne. Cinq jours après son arrivée, le général Faidherbe se mettait à la tête de l’armée ; la garnison prussienne de Ham était enlevée, La Fère menacée, et des journaux prussiens qualifiaient d’imprudent le mouvement de Manteuffel, qui interrompait sa marche sur Le Havre.