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ou en partie acquis, lequel nous sert de guide, bien que pouvant être désobéi. » Par conséquent ce mot n’est guère employé au figuré lorsque nous disons que les chiens courans doivent chasser à courre, que les chiens d’arrêt doivent arrêter, que les chiens rapporteurs doivent rapporter le gibier. S’ils ne le font pas, ils ont tort et manquent à leur devoir.

« Un être moral, dit M. Darwin, est caractérisé par la faculté de comparer ses actions passées et futures, ainsi que les motifs de ces actions, d’approuver les unes et de réprouver les autres, et le fait que l’homme est le seul être auquel cette faculté appartienne avec certitude établit entre lui et les animaux inférieurs la plus importante de toutes les distinctions. Je me suis attaché à démontrer que le sens moral résulte en premier lieu de la persistance et de la vivacité des instincts sociaux, ce qui rapproche l’homme des animaux inférieurs, et en second lieu de l’activité de ses facultés mentales et de la profonde impression que lui laissent les événemens passés, ce qui constitue un caractère spécial à l’homme. Son esprit est ainsi fait qu’il ne peut pas s’empêcher de regarder en arrière, de se représenter les impressions d’événemens et d’actions qui appartiennent au passé ; il regarde aussi sans cesse en avant. Il s’ensuit que, si un désir passager, une émotion fugitive, ont eu raison de ses instincts sociaux, il viendra un moment où il réfléchira et comparera l’impression affaiblie de ces impulsions passées avec l’instinct social qui n’a rien perdu de sa force ; il éprouvera dès lors ce mécontentement qu’excite un instinct non satisfait, et il prendra la résolution d’en agir autrement à l’avenir : ― c’est la conscience. Tout instinct qui est continuellement plus fort qu’un autre ou plus persistant donne naissance à un sentiment que nous exprimons en disant qu’il faut lui obéir. Un chien d’arrêt, s’il pouvait réfléchir sur sa conduite passée, se dirait à lui-même : J’aurais dû arrêter ce lièvre au lieu de me laisser aller à la tentation passagère de le chasser. »

L’instinct de sociabilité inspire à l’homme le vague désir de venir en aide à ses semblables, sans le pousser à des actions déterminées, ce qui est le propre des instincts de l’animal inférieur. Il faut aussi considérer que l’homme peut par le langage donner une forme précise à ses besoins et à ses désirs, de manière à guider ceux qui viennent à son secours ; des instincts spéciaux n’auraient donc chez lui aucune raison d’être. Enfin le motif qui le porte à se rendre utile n’a plus sa source uniquement et directement dans une tendance innée ; l’espoir de l’éloge et la crainte du blâme de ses pareils y sont pour beaucoup. C’est la faculté de la sympathie qui nous rend sensibles à l’éloge et au blâme, qui nous fait prononcer l’un ou l’autre ; elle est à coup sûr l’un des élémens les plus importans de l’instinct social, et elle peut être développée à un haut degré par l’usage qui en est fait. On se demandera quel est le principe qui règle en général l’approbation et la réprobation des actes