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fidèle à notre vieille amitié qu’à notre politique commune. Nous nous entendîmes sans peine sur la conduite à tenir ; il m’écrivit le 29 mars 1837 : « Mon cher ami, comme il y va de votre avenir, du mien, et peut-être de celui du pays dans les déterminations que nous pourrions être appelés à prendre d’ici à peu de jours, il importe qu’aucune méprise, aucune incertitude ne se glisse dans le résultat de l’entretien que nous avons eu ce matin. Je le résume ainsi : 1° mon nom ne sera prononcé au roi ni par vous, ni par Duchâtel ; aucune démarche ne sera faite, ni directement, ni indirectement, pour me rappeler aux affaires, de telle sorte que, si, ce qu’à Dieu ne plaise, le roi me faisait demander, je compte que ce serait spontanément et de son propre mouvement qu’il s’y déciderait ; 2° dans ce cas, je ne pourrais, en mon âme et conscience, donner au roi qu’un conseil : ce serait qu’il tentât un ministère fondé sur le principe d’une réconciliation entre les hommes qui ont concouru depuis six ans à défendre le gouvernement actuel, sauf à discuter les conditions de la réconciliation et les diverses applications du principe ; 3° si cette indication n’était pas accueillie, ou si, ce que je regarde comme très vraisemblable, elle échouait à l’épreuve, je ne conseillerais point au roi de former un ministère pris exclusivement ou à peu près dans la nuance d’opinion que vous représentez à la chambre des députés, mon sentiment étant qu’un nouveau ministère du 22 février 1836 serait moins périlleux pour la monarchie et lui laisserait plus de chances à venir ; 4° enfin je ne pourrais m’associer à cette dernière entreprise, mon avis étant que ma présence dans le conseil y serait plus nuisible qu’utile. »

J’étais d’accord avec lui sur tous ces points. Le 5 avril 1837, le roi me fit appeler, me dit que M. Molé lui avait apporté sa démission, et me demanda de lui présenter les élémens d’un cabinet. Je pris sur-le-champ mon parti ; j’allai trouver M. Thiers, qui ne m’attendait pas, et je lui proposai de reconstituer le cabinet du 11 octobre 1832 ; il eût repris le ministère de l’intérieur, le duc de Broglie les affaires étrangères avec la présidence du conseil, M. Duchâtel les finances, et je serais resté au ministère de l’instruction publique. Notre conversation fut longue, ouverte, sans souvenir amer comme sans détour. M. Thiers déclina ma proposition : il ne croyait pas que ce qui s’était passé depuis un an, la question de l’intervention en Espagne toujours subsistante entre le roi et lui, et sa situation dans la chambre des députés lui permissent de l’accepter. Je rendis compte au roi de ma visite infructueuse, et je le priai d’aviser à d’autres moyens et à d’autres personnes que moi pour former un cabinet. Après avoir encore cherché en hésitant, il me fit de nouveau appeler, et me demanda si, avec mes amis particuliers, je