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généralement à vous voir chef du nouveau cabinet. Les graves difficultés qui existaient déjà auront sans doute été augmentées par la politique incertaine suivie depuis six mois, un essai un peu plus long aurait peut-être achevé de la discréditer ; mais j’espère que cet essai malheureux et la confiance que vous inspirez vous rallieront les hommes honnêtes et courageux. »

Ni ma première impression, ni mes réflexions n’étaient d’accord avec ce que me conseillaient ainsi d’excellens juges et d’excellens amis. A ne considérer que les choses mêmes, il n’y avait pour moi nulle difficulté à rentrer dans les affaires ; c’était sur la question d’Espagne et pour écarter l’intervention que se formait le nouveau cabinet, et j’avais été, j’étais opposé à l’intervention. Le roi réclamait mon concours dans une circonstance grave pour lui-même comme pour le pays, et dans laquelle j’approuvais sa résistance au cabinet précédent. Il avait besoin, disait-il, dans la chambre des députés, ou de M. Thiers ou de moi, et le public comme les chambres se montraient à cet égard de son avis. On ne me demandait aucune concession, on ne me faisait aucune objection qui pût être pour moi un motif de refus. Cependant il m’en coûtait beaucoup de me séparer, dans cette circonstance, du duc de Broglie, et il me répugnait encore bien plus de prendre, en me séparant de lui, sa place tout entière. Je trouvais aussi qu’il ne me convenait pas d’avoir l’air empressé à saisir la première occasion de devenir président du conseil ; je n’ai jamais dit que je n’eusse pas d’ambition, mais je n’ai jamais eu que l’ambition du pouvoir réel et efficace, non des apparences ; j’ai quelquefois refusé des titres brillans, et j’ai toujours attendu qu’ils vinssent me chercher. En me décidant à rentrer dans les affaires avec M. Molé, ministre des affaires étrangères et président du conseil, je résolus de n’y rentrer que comme ministre de l’instruction publique ; mais je demandai que deux de mes amis et de mes collègues dans le cabinet du 11 octobre 1832, M. Duchâtel et M. Persil, rentrassent aussi dans le nouveau cabinet, l’un comme ministre des finances, l’autre comme garde des sceaux, que M. de Gasparin fût appelé au ministère de l’intérieur, où il occupait déjà les fonctions de sous-secrétaire d’état, et que M. de Rémusat le remplaçât dans ce poste. J’assurais ainsi à mes amis politiques la moitié des sièges et deux des départemens les plus importans dans le cabinet. Je crus que c’était assez pour assurer la permanence de notre politique même, et le 6 septembre 1836 le nouveau ministère fut formé dans ces conditions.

Quelques jours après, je reçus du duc de Broglie cette lettre[1] :

  1. En date du 12 septembre 1836.