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conversations. Voici, tout bien considéré, le résultat définitif de mes réflexions :

« 1° Le nouveau ministère doit être vraiment nouveau ; il doit être le produit de combinaisons nouvelles et qui surprennent le public. S’il se présentait comme une résurrection, comme une contre-épreuve affaiblie et pâle du ministère qui s’est dissous il y a six mois, comme ce ministère moins deux hommes aussi importans que Thiers et Humann, cela lui serait mortel, il n’en aurait pas pour un mois.

« 2° Le ministère nouveau doit vous accepter pour chef, non-seulement de fait, mais de nom. Quoi qu’il arrive, vous en aurez la responsabilité ; il faut que vous en ayez la direction. Un ministère qui a deux présidens, l’un de nom, l’autre de fait, n’en a réellement point. C’est là un dissolvant inévitable et prochain. Chacun tire de son côté ; personne n’obéit à personne.

« 3° Vous président, je ne puis accepter utilement aucun poste dans le nouveau cabinet. Ce n’est point une question d’amour-propre, vous le savez ; il ne peut y avoir entre nous de question d’amour-propre. Ce n’est point non plus que je craigne de me voir imputer des motifs indignes de mon caractère, — je suis au-dessus de pareils soupçons ; mais lorsqu’on se présente devant le public, il faut faire chose que le public comprenne et qui n’ait pas besoin d’explication. Au premier aspect, le gros du public ne comprendrait rien à cette transposition de noms et de situations ; il faudrait lui expliquer pourquoi, étant le premier hier, je suis le second aujourd’hui. De là des commentaires, des interprétations, des conjectures à perte de vue. L’arrangement n’aurait pas l’air sérieux ; on y chercherait quelque dessous de carte, ou, ce qui serait pire, on y verrait quelque chose de provisoire.

« Je vous engage donc à ne tenir aucun compte de moi dans les combinaisons que vous pourrez méditer. J’ai fait mon temps. Ma retraite, loin d’être un obstacle de plus à l’arrangement des affaires, le rend au contraire plus facile. C’est une occasion qu’il ne faut pas laisser échapper. »

Le duc de Broglie n’était pas seul à me tenir un pareil langage. Dès le 23 août, M. Duchâtel m’écrivait de La Rochelle, où il présidait le conseil-général : « S’il survient une crise, vous devez user de votre liberté. Je ne puis vous écrire avec détail ; mais mon avis est qu’il faut deux choses : 1° ne pas ressusciter le passé et faire du neuf, 2° se distinguer en tout de ce qu’on remplace. » Et au même moment l’un de mes plus fidèles et plus judicieux amis, M. de Daunant, premier président de la cour royale de Nîmes, m’écrivit aussi : « Je ne crois pas me tromper en vous disant qu’on s’attend