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vaine ; le roi se plaignit que, dans les mesures de secours indirect qu’il avait consenties, on eût dépassé les limites convenues, ail faut rompre la glace, dit M. Thiers ; le roi ne veut pas l’intervention, nous la voulons, je me retire. » Ses collègues, sauf M. de Montalivet, adhérèrent à sa démission. « Messieurs, dit le roi, il est donc entendu que le cabinet est dissous ; je vous demande de n’en point parler, et de rester à vos postes pendant que je vous chercherai des successeurs. »

Avant que la rupture entre le roi et M. Thiers éclatât, j’étais depuis plusieurs semaines à Broglie avec ma mère et mes enfans ; je voulais être absolument étranger aux incidens qui se faisaient pressentir. M. Molé m’écrivit pour me demander d’aller m’entretenir avec lui ; je m’y refusai. Le 27 août, le lendemain du jour où le Moniteur annonçait la démission de M. Thiers, M. Bertin de Veaux, qui dirigeait alors le Journal des Débats, et l’un de mes plus clairvoyans amis, m’écrivit : « Mon cher ami, je vous ai fait dire plusieurs fois par votre fils, et une fois par votre ami le duc de Broglie, de ne pas venir à Paris ; la destinée de M. Thiers était alors incertaine, et je ne voulais pas que M. Thiers ni personne autre pût dire que vous étiez venu pour le précipiter dans sa chute. Aujourd’hui le Moniteur a parlé ; il faut donc changer de conduite, votre présence maintenant est utile, elle est même nécessaire, car dans des circonstances aussi critiques les minutes sont précieuses. Hâtez-vous donc de revenir. Soyez sûr que je soigne votre considération comme la mienne, et que je ne vous conseille que ce que je ferais pour moi-même. » M. Mol& m’écrivit le même jour : « Vous comprendrez maintenant les raisons qui me faisaient désirer de vous voir. J’ai reçu cette nuit une lettre du roi qui me pressait de me rendre auprès de lui. Je le quitte, et je lui ai dit mon désir de m’entretenir avec vous avant d’aller plus avant. Les momens sont précieux. J’espère que vous le penserez comme moi. »

Je partis en effet après m’être entretenu avec le duc de Broglie de la situation nouvelle et des diverses combinaisons auxquelles elle pourrait donner lieu. Je reçus, en arrivant à Paris, ce billet du roi : « Mon cher ancien ministre, j’apprends que vous êtes enfin arrivé. Je vous attendais avec impatience, et je vous prie de venir me voir le plus tôt que vous pourrez. Je voudrais que ce fût ce soir, si mon billet vous parvient encore à temps. Si vous trouvez qu’il est trop tard pour venir à Neuilly ce soir, je vous propose d’y venir demain matin à dix heures, ou chez moi aux Tuileries à midi. Vous connaissez tous mes sentimens pour vous. »

Presque en même temps m’arriva cette lettre du duc de Broglie : « Mon cher ami, j’ai beaucoup réfléchi sur le sujet de nos dernières