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le jour où elle serait régulièrement posée devant la chambre ; mais, ne pouvant attaquer la conduite même du ministère, les partisans de la mesure s’en prirent à son langage. Ces mots : « est-ce clair ? » furent trouvés secs et un peu ironiques envers la portion de la chambre qui prenait à la question un si vif intérêt ; l’humeur vint s’ajouter à la dissidence. Une proposition formelle pour la réduction de la rente fut présentée à la chambre par un membre du tiers-parti ; elle fut combattue par le cabinet tout entier, par M. Thiers et M. Duchâtel comme par le duc de Broglie. Quand on en vint au vote, un ami du cabinet proposa l’ajournement de la proposition ; l’opposition tout entière s’unit aux dissidens de la majorité, l’ajournement fut rejeté à la majorité de deux voix, et le lendemain la proposition même fut prise en considération. Le jour même, 6 février 1836, le cabinet tout entier donna au roi sa démission.

Je parle avec quelque détail de cet incident si imprévu qui vint renverser si brusquement un cabinet si honorablement formé et si franchement engagé dans les voies du gouvernement parlementaire. C’est la dernière fois où le duc de Broglie ait pris une part active à la conduite des affaires publiques. En 1845 et 1847, pendant mon ministère, il accepta et occupa en Angleterre de grandes missions diplomatiques ; après la chute de la monarchie constitutionnelle et sous la république de 1848, il a siégé dans l’assemblée nationale : sa démission en février 1836 a été sa retraite définitive du gouvernement de la France. Je ne le rencontrerai plus que dans la complète et fière indépendance de sa pensée et de sa vie.

Je suis obligé de répéter souvent que je ne raconte pas l’histoire du temps que je parcours ; je n’y cherche que le duc de Broglie et mes rapports avec lui. Le 6 février 1836, nous sortîmes ensemble du gouvernement ; lorsque, quinze jours après, le 22 février, M. Thiers eut été amené, par les instances du roi et les embarras de la situation, à former lui seul un nouveau cabinet, nous tînmes envers lui, le duc de Broglie et moi, la même conduite. Étranger à toute opposition, à toute critique, je votai les fonds secrets, j’appuyai le ministère dans ses demandes d’hommes et d’argent pour l’Algérie ; je combattis divers amendemens de la commission du budget, qui voulait imposer à certaines branches de l’administration des gênes que je croyais plus nuisibles qu’utiles. Je ne fis usage de ma complète indépendance que pour bien expliquer et mettre en lumière la politique que le cabinet du 11 octobre 1832, dans ses jours d’harmonie, avait pratiquée ; et la chambre, qui n’avait pas su la maintenir entière, m’en sut visiblement gré, car