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annoncées à la chambre des députés, je retournai aux Tuileries pour savoir un peu ce que nous y pourrions répondre. Le maréchal Soult était là. Le roi m’emmena dans l’embrasure d’une fenêtre, et me dit en me le montrant : « Le maréchal ne peut rien faire ; il faut aviser à d’autres que lui. Je veux que vous me donniez un conseil précis, positif. — Le roi sait ce que je pense de la situation et du moyen d’en sortir ; mais je ne dois me séparer en rien de mes collègues, je ne puis donner au roi un conseil formel que de concert avec eux. — A la bonne heure ; en attendant, allez trouver le duc de Broglie et envoyez-le-moi ; je désire causer avec lui. » Le duc de Broglie alla dans la matinée aux Tuileries. Le roi le reçut de bonne humeur, s’entretint amicalement avec lui de toutes les affaires, ne fit d’objection à aucune de ses propositions, pas même à ce que le conseil se réunît hors de sa présence, quand nous le jugerions à propos, comme cela avait été convenu sous M. Casimir Perier. La résolution du roi était prise ; il n’y avait plus de ce côté aucun obstacle à surmonter. J’agis au sein de la chambre des députés, je me concertai avec les plus influens de nos amis ; je répondis aux interpellations faites le 11 mars dans la chambre des députés que nous avions donné à la couronne, pour mettre fin à la crise actuelle, les conseils qui nous paraissaient dictés par l’intérêt du pays et par celui de la couronne elle-même, que c’était là un dernier devoir que nous avions à remplir envers elle, et le dernier acte dont nous pussions être responsables. Mon langage fut compris ; les membres de la majorité favorable à notre politique se réunirent en grand nombre, et chargèrent sept d’entre eux d’aller témoigner — à ceux des ministres qui se montraient encore incertains sur la combinaison proposée — le désir que ressentait la chambre de voir cesser ces incertitudes et son ferme dessein de soutenir le cabinet ainsi complété. La démarche fut décisive ; M. Thiers saisit de bonne grâce cette raison de sortir d’une hésitation qui devenait pour lui-même un embarras, et le 12 mars 1835 le cabinet fut reconstitué sous la présidence du duc de Broglie, ministre des affaires étrangères ; le maréchal Maison remplaça le maréchal Mortier au ministère de la guerre, l’amiral de Rigny resta dans le conseil comme ministre sans portefeuille, et M. Thiers, M. Duchâtel, M. Humann, l’amiral Duperré, M. Persil et moi, nous conservâmes les départemens que nous occupions.

Dès son entrée en fonction, le 16 mars 1835, le duc de Broglie explique nettement à la chambre des députés le caractère de la nouvelle modification du cabinet et sa propre pensée en y rentrant. « Éloigné des affaires depuis près d’un an, dit-il, étranger, entièrement étranger, jusqu’au dernier jour, à toutes les transactions de