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politique, ce serait la preuve que la nôtre n’était, pour le moment, plus de saison, et que notre retraite était opportune. S’il échouait, nous puiserions dans l’impuissance démontrée de nos adversaires une force nouvelle. Le roi jugea comme nous de la situation et prit sur-le-champ son parti d’en courir comme nous les chances. Il fit d’abord appeler M. Molé et le chargea de recomposer le cabinet. M. Molé avait trop d’esprit et de sens pour abandonner si tôt la politique de résistance et pour ne pas voir à quelles conditions elle pouvait être en même temps modifiée et maintenue. Après avoir vainement tenté d’atteindre le but en reprenant quelques-uns des élémens du cabinet qui venait de se dissoudre, il renonçait à l’entreprise, et le roi demanda aux meneurs mêmes du tiers-parti de former un ministère. M. Dupin se refusa à en être le chef. M. le duc de Bassano y consentit en disant, selon le bruit répandu alors : « Ce ministère sera la restauration de la révolution de juillet. » Au bout de trois jours, sans qu’aucun événement, aucun débat public leur en fît une nécessité, las du fardeau qu’ils n’avaient pas encore porté, les nouveaux ministres donnèrent leur démission. Le roi nous rappela en nous demandant de reprendre les affaires, et dix jours après sa retraite l’ancien cabinet était rétabli avec l’amiral Duperré pour ministre de la marine et le maréchal Mortier pour ministre de la guerre et président du conseil.

La crise semblait à son terme ; la politique de résistance avait triomphé et des embarras intérieure du cabinet et des hostilités ouvertes ou détournées qu’il rencontrait dans les chambres. Le maréchal Mortier occupait avec une modestie loyale le poste d’honneur qu’il avait accepté par dévoûment. Pourtant le cabinet demeurait chancelant et précaire ; l’esprit public était encore plein de ses récentes vicissitudes. Ce qui a été fortement secoué semble longtemps près de tomber. La présidence du conseil avait été prise de plus en plus pour une fiction, et plus la fiction devenait apparente, plus l’opposition y trouvait une arme et nos amis un embarras. Le roi nous disait souvent, à M. Thiers et à moi : « Qu’avez-vous besoin d’un président du conseil ? Est-ce que vous n’êtes pas d’accord entre vous ? est-ce que je ne suis pas d’accord avec vous ? Vous avez la majorité dans les chambres ; vous y faites les affaires comme vous l’entendez, et je trouve que vous les faites bien ; pourquoi s’inquiéter d’autre chose ? » Au fond, le roi pensait qu’il était lui-même le vrai président du conseil, et qu’il était inutile ou incommode d’en avoir deux ; il ne s’inquiétait pas assez des conséquences naturelles du régime représentatif et des sentimens qu’il provoque soit dans les acteurs qui y jouent un rôle, soit dans le public qui y assiste. De même que sous ce régime les intérêts et les opinions politiques