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victoires, c’est son devoir le plus impérieux et la nécessité la plus urgente que de si déplorables événemens, le caractère et les vues de leurs auteurs, soient mis complètement à découvert, et que devant le pays le grand jour se lève sur la maladie révolutionnaire, sur ses sources, ses symptômes, ses ravages et ses effets. La cour des pairs était à la fois, en 1834, la juridiction constitutionnelle et la seule capable de porter la lumière dans ce vaste chaos de faits et d’acteurs, en plaçant toujours l’équité à côté de la loi. On sait avec quelle patience, quelle modération et quelle efficacité, malgré des obstacles inouïs et après vingt et un mois d’une immense procédure, elle s’acquitta de cette capitale mission. Elle en était au début quand, le 17 avril 1834, le maréchal Gérard remplaça le maréchal Soult comme président du conseil. Ce vaillant homme, toujours prêt à risquer sa vie sur les champs de bataille, ne pouvait souffrir ce qui l’inquiétait et le dérangeait pendant la paix. La perspective de ce vaste procès pesait sur son esprit comme un cauchemar dont l’amnistie seule pouvait le délivrer, et l’amnistie était précisément, dans la chambre des députés et dans les journaux, le thème favori et le principal moyen d’action que le tiers-parti, comme on l’appelait, s’empressait d’exploiter auprès du maréchal Gérard, qu’il se complaisait à regarder comme son patron. Rien n’est plus séduisant que la générosité venant en aide et servant de voile à la faiblesse. Les grandes discordes civiles ne finissent que par des amnisties, mais pourvu que l’amnistie arrive au moment où les discordes sont près de finir, et qu’elle en scelle réellement la fin. Nous étions fort loin de cette issue. Non-seulement les conspirateurs vaincus ne renonçaient pas à leurs desseins et à leurs espérances, ils les poursuivaient au contraire, ils les proclamaient avec la plus opiniâtre audace, aussi arrogans, aussi menaçans du fond des prisons que dans leurs journaux. Nous avions, M. Thiers et moi, un profond sentiment de cette situation, et nous regardions l’amnistie, mise à la place du procès, comme un acte de lâcheté inintelligente et imprévoyante qui redoublerait, parmi les ennemis de l’ordre établi, l’ardeur et la confiance en les glaçant chez ses défenseurs. Nous nous refusâmes décidément à cette mesure quand le maréchal Gérard en fit la demande formelle, et le 29 octobre 1834 il se retira du cabinet.

Privé de son patron, le tiers-parti montra autant d’humeur que la faction révolutionnaire de violence. Évidemment la situation du cabinet allait être encore aggravée et affaiblie. Nous pensâmes, M. Thiers et moi, que pour nous la meilleure conduite était de nous retirer comme le maréchal Gérard et de laisser le champ libre au tiers-parti. S’il réussissait à former un ministère et à pratiquer sa