Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/633

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

propres forces, il reste libre de ne consulter que les exigences de sa situation, telles qu’elles lui apparaissent, et nous conservons nous-mêmes l’entière liberté de ne point nous immiscer dans ses affaires intérieures ; mais vous connaissez assez les lois et les nécessités du régime sous lequel nous vivons pour comprendre que, si vous deviez solliciter le secours de nos armes, l’opinion publique en France nous imposerait alors certaines obligations qui deviendraient comme autant de conditions mises à l’envoi de ce secours. »

Ainsi, tout en manifestant les intentions les plus amicales pour l’Espagne, le duc de Broglie respectait et maintenait à la fois l’indépendance de l’Espagne et celle de la France ; il espérait avoir à seconder en Espagne le progrès vers la monarchie constitutionnelle ; mais il prenait soin de déclarer d’avance qu’en tout cas il n’agirait que selon les principes de la France constitutionnelle et ses sentimens comme ses intérêts nationaux.

Presque au même moment, il avait à maintenir en Allemagne, dans un sens très différent, le droit et la dignité du gouvernement français. Des mouvemens révolutionnaires à Francfort et à Turin avaient amené à Münchengraetz, petite ville de Bohême, la réunion des empereurs de Russie et d’Autriche et du prince royal de Prusse avec leurs ministres. A la suite de cette réunion, trois dépêches des trois cours furent communiquées au duc de Broglie, finissant toutes trois par déclarer que « si la France, qui avait si bien su se défendre elle-même des tentatives des perturbateurs, ne réussissait pas désormais à déjouer également les machinations auxquelles ils se livraient sur son territoire contre les états étrangers, il pourrait en résulter, pour quelques-uns de ces états, des troubles intérieure qui les mettraient dans l’obligation de réclamer l’appui de leurs alliés, que cet appui ne leur serait pas refusé, et que toute tentative pour s’y opposer serait considérée par les trois cabinets de Vienne, de Saint-Pétersbourg et de Berlin comme une hostilité dirigée contre chacun d’eux. » Tout en reconnaissant le devoir de tout gouvernement de ne souffrir sur son territoire aucun acte révolutionnaire contre des gouvernemens étrangers avec lesquels il vivait en paix, le duc de Broglie ne se méprit point sur cette tentative d’intimidation, et il la repoussa hautement en maintenant, pour les divers cas de complications ou d’interventions européennes qui pourraient se présenter à l’avenir, la liberté d’action et la politique déclarée de la France. Quand il reçut communication de cette dépêche, le prince de Metternich essaya de ne la comprendre qu’à moitié et de croire que le Piémont n’était pas l’un des états dans lesquels la France ne souffrirait pas, sans y intervenir elle-même, une intervention étrangère ; mais M. de Sainte-Aulaire,