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porter remède. Il faudra remettre au plus tôt l’université sur un pied d’indépendance et se garder en même temps contre l’extrémité Contraire, contre la tendance ultra-libérale de sacrifier les lettres aux sciences et de laisser tomber les études classiques. Là aussi il y aura un double combat à rendre.

« Notre entretien finit là pour le moment, dit le duc de Broglie ; mais le roi, interrompu par les affaires courantes, revint bientôt à la charge. Je vis qu’il était fort embarrassé de trouver un successeur à M. Bignon, et je lus sur son visage qu’il avait bien envie de me mettre ce double fardeau sur les épaules, mais qu’il craignait que l’offre d’une position si chétive en apparence et si peu attrayante en réalité ne me parût trop au-dessous des prétentions qu’à tort ou à raison je pouvais former.

« Je pouvais en effet prétendre à mieux, les circonstances données ; mais le roi avait tort, car ce fut précisément ce motif qui agit sur mon esprit. J’étais parfaitement décidé à ne pas rester ministre sans portefeuille, c’est-à-dire sans caractère public et sans responsabilité personnelle. Je n’avais aucune vocation pour la carrière d’ambition. Je me croyais peu propre au maniement des hommes, et en cela je ne me trompais pas ; mais j’éprouvais quelque regret à me séparer du roi dès le lendemain de son avènement et de nos confrères en révolution dès le premier jour. Je craignais que cette démarche ne fut mal interprétée. Il me parut au contraire qu’en acceptant un poste qui n’avait été que le pis-aller de M. Bignon, personne ne se méprendrait sur mes motifs, qu’on n’y verrait que ce qui y était effectivement, l’envie de rendre service dans un moment difficile, et, comme le nouveau ministère ne pouvait guère durer que quelques semaines tout au plus, j’acquérais, après avoir payé de ma personne, le droit de recouvrer désormais ma pleine liberté.

« Le roi lisait sur mon visage comme je lisais sur le sien. Nous fûmes donc promptement d’accord. J’y mis néanmoins une condition : c’est qu’au double ministère des cultes et de l’instruction publique serait annexée la présidence du conseil d’état. Je déclarai que je ne pouvais passer sur les difficultés que je prévoyais ; je savais d’ailleurs que M. Dupont de l’Eure se proposait de supprimer le conseil d’état et de renvoyer aux tribunaux le contentieux de l’administration, — proposition funeste dans laquelle il aurait pour lui les gens de loi, et le roi lui-même, qui gardait rancune au conseil d’état pour quelques procès qu’il y avait perdus. Ne fût-ce que pour lui épargner cette énorme faute, je faisais bien d’insister.

« Tout fut réglé dans la soirée. Le lendemain, le ministère du 11 août fut annoncé au Moniteur en sept ordonnances distinctes. Une huitième ordonnance nommait ministres MM. Laffitte, Casimir Perier, Dupin et Bignon, en leur accordant entrée au conseil des