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l’adversaire, l’adversaire ardent, rancunier, intraitable, du nouveau gouvernement. Son influence sous la restauration avait été pour plus de moitié dans la chute de Charles X ; il se regardait comme détrôné avec ce pauvre prince. Il fallait s’attendre à tout de sa part : il s’entend à tout ce que peut décemment se permettre un clergé en fait d’opposition patente ou latente. Et en même temps il fallait protéger le clergé contre la réaction prête à se jeter sur lui avec furie ; déjà commençait la chasse aux robes noires et aux chapeaux clabauds, aux jésuites, aux capucins, aux frères de la doctrine chrétienne et jusques aux pauvres sœurs de la charité ; les processions étaient poursuivies à coups de pierres, les croix de mission culbutées et traînées dans la boue ; il ne faisait pas trop bon à un évêque de sortir de sa cathédrale et à un curé de son presbytère.

« — Un tel état des choses et des esprits, disais-je au roi, devra nécessairement placer tout ministre des cultes dans une position délicate et doublement périlleuse ; il lui faudra tenir ferme entre deux feux, porter respect au clergé et le tenir en respect, ne lui donner, ne lui laisser donner aucun sujet de plainte légitime, et ne souffrir de lui aucune attaque, soit du haut de la chaire, soit par menée clandestine ; il faudra surtout se garder d’engager avec lui aucun débat qui touche de près ou de loin à la controverse, sous peine, dans un temps comme le nôtre, de s’enferrer dans quelqu’une de ces querelles théologiques où l’on ne tarde pas à voir contre soi toutes les bonnes âmes, pour soi tous les vauriens, et qui ne finissent jamais que mal et de guerre lasse.

« — Vous avez bien raison, me dit le roi en m’interrompant ; il ne faut jamais mettre le doigt dans les affaires de l’église, car on ne l’en retire pas : il y reste.

« Je note l’expression, qui me parut aussi originale que la pensée était juste. Confier une telle tâche à M. Bignon, repris-je, ce serait folie. Je le connais de longue date, ayant servi sous ses ordres. Il n’en comprendrait pas même la nature et l’importance. Au lieu d’arrêter ou de prévenir la réaction contre le clergé, il y donnerait en plein. Mais par qui le remplacer ? Si M. Guizot n’était pas protestant, on pourrait réunir les cultes à l’intérieur, cela s’est fait ; mais le clergé y verrait une déclaration de guerre, il serait impossible de lui faire entendre raison. Si M. Dupont de l’Eure était remplacé et bien remplacé, on pourrait réunir les cultes à la justice, cela s’est fait aussi plus d’une fois, et par de bonnes raisons ; mais quand sera-t-il remplacé ? C’est aujourd’hui même qu’il faut arrêter le désordre et en prévenir les conséquences. Et le pire, c’est que le ministère de l’instruction publique se trouve enchevêtré dans celui des cultes ; M. Corbière a livré l’université pieds et poings liés au clergé ; M. de Vatimesnil n’a eu ni le temps ni le pouvoir d’y