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ne peut pousser la résistance au-delà des limites d’une défense honorable. Depuis le début de l’action, le préfet s’était tenu debout près de la barricade, encourageant les combattans par son exemple et par sa parole, sans ostentation, avec le sang-froid que donne le courage. Il répond à la commission que, la lutte étant engagée, c’est aux commandans militaires seuls qu’il appartient de décider si elle doit cesser ou continuer. Les commandans de la garde nationale et des pompiers reconnaissent que la situation peut s’aggraver par une modification du plan d’attaque ou par l’arrivée de renforts ennemis ; mais, avant d’entrer en pourparlers avec les assaillans, ils demandent à continuer la lutte une heure encore. Une demi-heure après, l’ennemi commençait sa retraite ; il emportait une quarantaine de morts et de blessés, et laissait quelques prisonniers entre les mains de la garde nationale. Du côté de la ville, douze hommes avaient été atteints, parmi lesquels M. de La Forge. La fureur de l’ennemi fut grande quand il éprouva cette résistance inattendue. Fidèles à leur lâche habitude, les soldats passèrent leur mauvaise humeur sur des gens inoffensifs ; ils emmenèrent une dizaine de prisonniers qui n’avaient commis d’autre crime que de se trouver sur leur chemin ; le long de la route, ils les insultèrent et les battirent : l’un d’eux fut si maltraité par les landwehriens ivres qu’un chirurgien dut panser ses blessures au bord d’un fossé avant d’arriver à Ribemont.

Le colonel de Kahlden, commandant de Laon, qui avait ordonné l’expédition, ne voulut point rester sous le coup d’une défaite qui eut quelque retentissement, car Saint-Quentin venait de donner aux villes ouvertes un grand exemple en repoussant l’ennemi sans le secours d’aucune force régulière. M. de La Forge savait bien que les représailles ne se feraient pas longtemps attendre : il avait obtenu qu’un corps d’armée de 10,000 hommes vînt tenir garnison à Saint-Quentin ; mais l’autorité militaire reconnut que la ville ne pouvait être mise en état de défense, et que les troupes n’y seraient pas à l’abri d’un coup de main : elles furent rappelées au lendemain de la capitulation de Soissons, et Saint-Quentin se trouva ainsi livré sans défense à la colère de l’ennemi au moment où ses forces devenaient disponibles. A la nouvelle de la décision de l’autorité militaire, M. de La Forge donna sa démission. Le 20 octobre, M. de Kahlden réunit une petite armée. Il la divise en deux colonnes, dont l’une va investir La Fère pendant que l’autre marche sur Saint-Quentin. Dans les villages qui avoisinent La Fère, on crut que le siège allait commencer ; on en fut quitte pour la peur et pour le pillage de quelques demeures. Les 1,000 hommes qui arrivent à Danizy le 19 octobre bouleversent les maisons de fond en comble sans épargner les habitans ; puis ils procèdent au déménagement chez les