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législative et du pouvoir politique. Cette vérité mérite d’être mise en lumière, car, outre qu’elle explique plusieurs points importans de l’histoire de l’ancien régime, elle peut fournir un sujet de méditation et peut-être même d’imitation aux hommes de nos jours.

Au premier coup d’œil que l’on jette sur l’histoire de France depuis Charles VII jusqu’à Louis XVI, on est surpris de la fréquente intervention de la magistrature dans les affaires politiques. Cette intervention est si éloignée de nos habitudes modernes qu’au premier abord elle nous choque, et nous semble un désordre. A regarder les choses attentivement, on s’aperçoit qu’elle était conforme aux idées et aux principes politiques de ces temps-là, et qu’elle était pour ainsi dire une des parties essentielles de la constitution de la société française.

Le parlement de Paris, à son origine, n’était pas proprement un tribunal. Il était, suivant l’expression du temps, « la cour du roi, » c’est-à-dire la réunion des vassaux directs, soit qu’ils fussent gentilshommes, soit qu’ils fussent ecclésiastiques. Quant au mot parlement, que l’on employait aussi, il avait le même sens dans la langue de ce temps-là que les mots assemblée délibérante ont dans la nôtre. L’idée que l’on se faisait de l’autorité publique au moyen âge était telle que l’on n’admettait pas qu’un souverain pût faire aucun acte sans l’aveu et le concours de ceux qui dépendaient de lui. Qu’il s’agît d’une loi à établir, d’un impôt nouveau à percevoir, d’une guerre à entreprendre ou même seulement d’un mariage à contracter, le souverain ne devait prendre une décision qu’au milieu de ses sujets et après avoir pris leur avis. Il est vrai que ce principe, au temps de la féodalité, ne conduisait pas à l’institution d’assemblées nationales ; mais cela tient seulement à ce que, la société étant constituée hiérarchiquement, chaque souverain n’avait à consulter que les sujets qui étaient immédiatement au-dessous de lui. Le roi n’avait donc à réunir que ses vassaux directs, c’est-à-dire quelques seigneurs, quelques prélats, et les magistrats municipaux de ses villes, si les objets en délibération touchaient aux intérêts de la bourgeoisie. Cette règle se répétait d’ailleurs à tous les degrés de la hiérarchie, et, de même qu’il y avait la cour du roi, il y avait la cour ou parlement de chaque duc, de chaque seigneur, et il se déroulait ainsi une longue chaîne d’assemblées de toute nature dont l’ensemble formait la nation même.

Toutes ces « cours » n’étaient pas seulement des tribunaux ; elles étaient des assemblées délibérantes. La cour du roi par exemple avait des attributions qui s’étendaient à l’infini ; on peut les résumer d’un mot : elle s’occupait de tout ce dont s’occupait le roi. Elle devait, au moins en principe, entourer toujours le roi, ne pas le