Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les drapeaux. Les mobiles de Vervins, convoqués dans cette ville le 10 août, y ont reçu un fusil à tabatière ; dirigés sur Soissons, on leur a donné pour tout équipement une blouse de toile bleue avec la croix rouge sur le bras. Lorsque l’investissement commence, ils ont à peine un mois d’exercice. Quant au bataillon du 15e de ligne, il était composé moitié d’hommes du dépôt, mal habitués au maniement des armes, moitié de soldats de divers régimens échappés de Sedan, qui étaient venus offrir leurs services au commandant de place. Dans ces 4,000 hommes, il y avait beaucoup de braves gens, mais peu de soldats.

Soissons attendit longtemps l’inévitable coup de grâce qui devait mettre fin à sa résistance. Pendant près d’un mois, du 16 septembre au 12 octobre, l’attaque fut molle et l’investissement peu rigoureux. La garnison fit des efforts pour éloigner les lignes ennemies : deux fois elle réussit à faire entrer dans la place des convois de ravitaillement, des volontaires de la garde nationale figurèrent avec honneur dans plusieurs combats ; mais elle n’était ni assez forte ni assez exercée pour se heurter aux plus importantes positions, et le canon de la place essayait seul d’entraver les ouvrages qui s’achevaient à 3 kilomètres du bastion, sur les collines du sud. Le 12 octobre au matin, le bombardement commence. Des batteries de Presle et de Sainte-Geneviève, la mitraille tombe sur la ville jusqu’au lendemain à trois heures de l’après-midi. À ce moment, un parlementaire se présente : il emporte une fière réponse. Le bombardement reprend plus furieux, et dure, sans interruption, jusqu’au surlendemain à la nuit tombante. L’artillerie de la place tient tête énergiquement à l’orage, pendant quatre-vingts heures, avec ses servans improvisés. Plus d’une fois la justesse de son tir ralentit le feu des batteries de Sainte-Geneviève ; mais Soissons se couvre de ruines. Des obus trouent la tour Saint-Jean qui domine la ville, et dont la magnifique architecture rappelle au voyageur l’antique splendeur de la cité épiscopale ; la cathédrale est entamée, l’arsenal et la manutention sont criblés de projectiles, le grand hôpital, atteint dès la première heure, brûle, les casernes s’effondrent, et les obus qui éclatent sans cesse achèvent ici la destruction commencée, allument là de nouveaux incendies. Cependant, au pied du rempart, où la garde nationale a rejoint la garnison, la plaine est déserte. L’ennemi est invisible, et l’on est écrasé. Que faire ? Une large brèche a éventré le rempart auprès de Saint-Jean des Vignes. Si la raison permettait quelque espoir de délivrance, il faudrait persévérer, coûte que coûte ; mais un conseil de guerre a reconnu que les sorties sont impossibles, et d’où viendrait le secours ? La France n’a plus d’armée qui tienne la campagne. Quelques milliers d’hommes, détachés de Lille, ont poussé jusqu’à